Au dîner du cochon j'avais cité la page hallucinante de Rabelais sur Mardi gras, le cochon volant luttant contre les andouilles. Au dîner des histoires de famille je n'ai pas résisté à l'envie de remettre le couvert avec Rabelais. Qui de mieux que le jeune Gargantua pour présider à des ripailles où la famille sera tancée, moquée, célébrée ?
"Toujours il se vautrait dans la boue, se barbouillait le nez, se tartinait le visage. Usait ses souliers, baillait aux mouches, et courait volontiers après les papillons, dont son père était roi. Il pissait sur ses souliers, il chiait dans sa chemise, il se mouchait dans ses manches, il morvait dans sa soupe." (Chapitre 11)
Hasard heureux, c'est un vendredi saint que je clos ma semaine à Rhodes et que je découvre sur l'île de Symi le monastère de l'archange Michel, situé sur la "Ligne sacrée de Saint-Michel" (incluant le Mont du même nom). Le véritable exotisme est ici : non pas dans les mosquées souvent décoratives, ni dans les temples d'Apollon perdus dans la montagne, mais dans ce culte orthodoxe encore vivace qui, par ses brassées de fresques et de dorures, lorgne vraiment vers l'Orient.
Le chant des Vaches du Soleil dans l'Odyssée m'a toujours un peu déçu. J'en comprends mal la symbolique et la beauté. Mais je lui prêterai davantage d'attention maintenant que je découvre Rhodes. Le Soleil qui se venge des compagnons d'Ulysse c'est Hélios, le fameux Colosse ! Il y a quelque chose de viril dans cette île. Tremblements de terre, conquêtes, châteaux forts... Même Ulysse y a subi son pire revers.
A Rhodes la présence du christianisme se fait discrète. Il y a bien quelques petits monastères dans les collines mais en ville la plupart des églises ont été transformées en mosquées. Même les clochers ressemblent à des minarets. Pourtant le quartier fortifié, fondé par un ordre hospitalier, devrait être un bastion chrétien. Trois siècles de pouvoir ottoman sont passés par ici. Mais c'est une troisième religion qui bat dans le cœur des touristes, on le remarque aux colifichets dans les boutiques : les statuettes de divinités grecques s'imposent dans l'imaginaire, sans attirer les foules pour autant dans les sanctuaires.
Des traces de misère, un habitat médiocre font à Rhodes, quand on sort des sentiers touristiques, un contraste terrible avec le sublime des "Hymnes homériques"... Où donc sont partis les dieux ? Il faudrait imaginer un nouvel hymne où Zeus se retire quelque part pour un long sommeil, un peu comme Merlin piègé par Morgane dans un rocher.
A Lindos le sanctuaire d'Athéna juché sur l'Acropole est cerné de temples latins et de murailles médiévales. Les époques ont fait un mille-feuilles architectural au-dessus d'une ville sinueuse toute blanchie à la chaux - paradis moderne pour le farniente. Ici souffle un peu de l'esprit non pas d'Athéna mais d'Hermès dont le poète chante la créativité, la malice et le sens musical.