La littérature sous caféine


mercredi 13 avril 2011

Sortie aujourd'hui en librairie d'"Autoportrait du professeur en territoire difficile" (Gallimard)



Le livre sort aujourd'hui.

J'en profite pour évoquer le choix des exergues, exercice à la fois délicat et plutôt plaisant.

Pour Azima la rouge, j'avais choisi deux citations, l'une de James Ellroy ("Mes cauchemars possédaient une force brute d'une pureté absolue"), l'autre de Ryû Murakami ("Le danger, c'étaient les types psychologiquement fragiles"). Je me sentais proche de ces deux auteurs, à la fois pour leur univers (très contemporains, très sexués et brutaux) et pour leur sens de la formule (Azima était écrit dans un style très concentré, avec phrases courtes et sonores).

Pour Suicide Girls, j'ai choisi une phrase de Poppy Z. Brite ("Une douleur exquise, occultant la moindre pensée, le moindre souvenir, la moindre notion d'identité..."). Je trouvais qu'il y avait des parentés entre mon roman et ceux de Poppy, par le choix d'un univers sombre mais romanesque, racheté par l'espoir et l'énergie (une forme de "littérature punk", d'une certaine manière).

Pour Autoportrait du professeur en territoire difficile, j'ai quitté le genre romanesque pour lorgner vers le récit, et je devais trouver une citation qui traduise le sentiment général du livre. J'ai voulu puiser dans l'abondante sociologie française qui traite du thème des banlieues et j'ai choisi un extrait de l'ouvrage qui reste mon préféré en la matière, Ghetto Urbain (Didier Lapeyronnie) : "Avec l'école, comme avec d'autres institutions de la République, à l'évidence, une cassure s'est opérée pour les classes populaires." Mon livre s'achève sur une note plus optimiste que ce que cette phrase laisse entendre, mais je trouvais qu'elle condensait beaucoup de problématiques et résumait assez bien la situation générale...

dimanche 10 avril 2011

Le nudisme, brillant courant artistique ?

1) Dans un cours sur l'histoire de la peinture, je demande aux élèves s'ils connaissent des courants d'art du 20ème siècle. Les réponses fusent :
- Le cubisme !
- L'expressionnisme !
- Le fauvisme !
- Euh... Le naturisme !

2) Un clochard, aviné, l'air dépité, la mimique fataliste, parle à son voisin de banc :
"Il avait de l'allure, Chirac... Ah ouais, beaucoup d'allure... Mais bon, son problème, c'est qu'il a pas beaucoup travaillé..."

mardi 5 avril 2011

Les équivalents littéraires aux tableaux (Redon, Gracq...)



Très belle exposition Odilon Redon au Grand Palais. J'ai toujours été séduit par la grande originalité des thèmes qu'il traitait - cette façon de fouiller son propre imaginaire, de partir à la recherche d'images fondamentales, de présenter la matière de ses rêves, sans craindre de paraître étrange ou inquiétant.

Le curieux syncrétisme qui est le sien, aussi, mêlant les symboles de plusieurs religions, les mythes de plusieurs civilisations.

Puis sa conversion à la couleur, Redon renonçant en partie au monde des rêves le temps de quelques oeuvres plus décoratives (encore que ses fleurs soient souvent purement imaginaires), adoptant une palette de couleurs vives, chaudes et contrastées proche de celle de Gaughin, à qui il rend hommage dans plusieurs toiles.



J'ai ressenti face à ses toiles la même chose qu'avec quelques autres artistes : l'envie d'écrire une sorte d'équivalent littéraire aux oeuvres que j'ai devant les yeux. Qu'est-ce que cela pourrait donner, dans le cas de Rodon ? Des poèmes dans la veine de Baudelaire, bien sûr, ou Mallarmé. Plus difficile de concevoir une fiction... Peut-être des nouvelles du style de Hoffmann, angoissantes et fantastiques ? Une prose "artiste" à la manière de Huysmans (qui admirait Rodon, d'ailleurs) ? Une écriture puissante et raffinée comme celle de Poe ?

Je n'ai jamais rien écrit qui puisse me faire penser moi-même à Rodon. Il faudrait quelque chose de somptueusement contemplatif... Très difficile de ne pas être ennuyeux quand on est contemplatif, tout en ayant l'ambition d'une prose riche et maîtrisée. Gracq, peut-être, à cet égard, pourrait-il être un digne équivalent de Rodon ?

vendredi 1 avril 2011

Journaux d'écrivains : jusqu'où peuvent aller, légalement, les révélations ?


Gimme shelter - The Rolling Stones par musiclivesat

(Vidéo : Gimme Shelter, l'une des chansons les plus impressionnantes des Rolling Stones...)

Poursuivant ma découverte des journaux, je lis les deux volumes de celui de Matthieu Galey, éditeur et critique, disparu jeune (52 ans). C'est un journal moins obsessionnel que beaucoup d'autres, car davantage composé de portraits, d'anecdotes, de souvenirs de voyage (donnant lieu à de nombreuses belles pages, tour à tour satiriques, élégiaques, nostalgiques...) que d'évocations de tourments personnels.

Le plaisir est grand, bien sûr, de découvrir la vie du "milieu des lettres", ses grandeurs et ses mesquineries, d'autant plus que Matthieu Galey pose sur toute chose un regard à la fois ironique et tendre. La plupart du temps, il se contente de décrire les manoeuvres et les coups bas sans vraiment les juger. On découvre une Yourcenar mégalomane et prétentieuse, un Robbe-Grillet fanfaron, une Sarraute enjouée... Galey réserve des piques à quelques oeuvres, notamment celle de Sartre, qu'il estime à plusieurs reprises devoir être "dégonflée" par rapport à celle d'autres auteurs plus modestes, d'apparence mais plus profondes (comme Jules Renard).

A propos de ces anecdotes sur le milieu des lettres, je me demande d'ailleurs quelle est la législation : quelqu'un se retrouvant dans ces pages, annoncées comme autobiographique, peut-il porter plainte (que les pages en question soient diffamatoires ou non) ? A-t-on le droit de refuser d'apparaître dans un tel livre ? Les descendants d'un auteur disparu peuvent-ils à leur tour refuser que ce dernier soit évoqué ? Galey en égratigne beaucoup, des "fausses valeurs littéraires", et j'imagine les grincements de dents que la parution des deux volumes de son journal ont pu provoquer...

mardi 29 mars 2011

L'invité bémol (Service Public, sur France Inter)

J'ai participé ce matin à l'émission d'Isabelle Giordano sur France Inter, Service public (Podcast et site de l'émission ICI), à propos de l'étude des classiques en classe - et, accessoirement, de "Autoportrait du professeur en territoire difficile" (Gallimard, 14 avril 2011).

Nous avons tous été d'accord, sur le plateau (la romancière Cécile Ladjali et le cinéaste Régis Sauder y étaient notamment présents), pour affirmer la beauté et la nécessité de faire lire des classiques aux élèves, même si l'on attendait de moi, au vu de la teneur de mon livre, que je tempère la belle unanimité... J'ai certes apporté quelques bémols, notamment à propos de la difficulté d'exercer le métier dans certains établissements, mais j'ai préféré insister sur la modernité de textes pourtant anciens comme le Tartuffe de Molière. Je n'ai sans doute pas été l' "invité bémol" qu'ils attendaient aujourd'hui !

(Je mettrai bientôt la vidéo en ligne)

samedi 26 mars 2011

Vichy, Gaza, chefs de bandes

1) En salle des profs, des collègues racontent quelques dialogues tirés des TPE (ces exposés faits par les élèves pour le bac):

A propos d'un exposé sur la Résistance française pendant la Seconde Guerre Mondiale:
- Pouvez-vous nous parler du gouvernement de Vichy ?
- Euh... C'est un gouvernement dirigé par un dénommé Vichy ?

A propos d'un exposé sur la Palestine :
- Pouvez-vous nous parler de la Bande de Gaza ?
- Euh... C'est un groupe de rebelles dirigée par un dénommé Gaza ?

2) Une altercation dans la rue : une jeune femme distinguée avec poussette et trois jeunes enfants se trouve bloquée sur le trottoir parce qu'un homme massif, en marcel, sort d'un magasin, précédé de deux énormes chiens muselés. La femme s'indigne qu'il ne dégage pas plus vite le passage.
"On prend le temps de respirer ! J'ai le droit de sortir, non ? Deux secondes, ma petite dame...
- Allez, quoi ! Plus vite ! Merde, on a peur des chiens, nous !
- Et moi, j'ai peur des femmes avec enfants !"
Elle recule, choisit de contourner le trottoir par la chaussée.
"Vous êtes vraiment un pauvre type. Connard, va !
- Eh, c'est toi plutôt ! Connasse !
- Va te faire enfiler..." (cela dit d'une voix plus basse...)

mercredi 23 mars 2011

Bonheurs de l'âge mûr



Picasso, les dernières années de sa vie, de plus en plus facétieux, forçant le trait et riant de ses propres débordements d’imagination sexuelle.

Sollers, plus solaire que jamais dans son dernier livre en date, Trésors d'amour, dans lequel il relit Stendhal à la lumière de son propre appétit d'intelligence et de joie.

Colette, sereine et sensuellement attachée au monde, dans son tout dernier livre, Le Fanal bleu, comme dans cette belle page où elle constate les renoncements de la vieillesse sans pourtant s’en attrister : « O découvertes, et toujours découvertes ! Il n'y a qu'à attendre pour que tout s'éclaire. Au lieu d'aborder des îles, je vogue donc vers ce large où ne parvient que le bruit solitaire du coeur, pareil à celui du ressac ? Rien ne dépérit, c'est moi qui m'éloigne, rassurons-nous. Le large, mais non le désert : c'est assez pour que je triomphe de ce qui m'assiège. »

Cette joie qui s'approfondit avec les années, résultat d'une intense quête personnelle ? D'un tempérament fort ? D'une vie tournée vers les arts ? Ou bien simple effet de l'apaisement - les combats qui s'estompent, le sentiment du devoir accompli, le regard ironique porté sur les carrières et les ambitions ?

vendredi 18 mars 2011

Japon : les marques ostentatoires du spectacle


Tsunami au Japon : des dégâts considérables par BFMTV

Je suis très touché par ce qu’il se passe au Japon. J’ai vécu quinze mois à Tokyo et je me suis toujours senti très proche du peuple nippon. Les images que nous voyons défiler en ce moment dépassent en horreur tout ce que nous avons pu voir en la matière, et je ne suis pas gêné par le fait que les médias les aient complaisamment étalées.

En revanche, je trouve ridicules, grossières et même insultantes ce qu’on pourrait appeler les « marques ostentatoires de mise-en-scène », tous ces petits signes accompagnant la présentation de l’information pour la rendre plus ludique. Je pense à deux choses :

- Tout d’abord, un sigle symbolisant l’énergie nucléaire apparaissant à côté d’un message « Risque nucléaire » plastronnant sur les chaînes d’information continue. Cela fait vraiment mauvais remake de film catastrophe – on dirait que les chaînes s’adressent à des enfants ou à des attardés mentaux.

- Je suis très surpris par une double page du journal Le Monde daté du 15 mars, double page dans laquelle sont présentées de grandes images de la catastrophe, agrémentées de deux encarts publicitaires, en bas, à gauche et à droite. L’encart de droite est une publicité pour Canal Plus montrant une image floutée de film pornographique (avec le slogan : « Des grands débats. »). Quelques centimètres à gauche, on voit le cadavre d’un vieillard japonais… Je ne suis vraiment pas du genre bégueule, mais je me demande tout de même s’il s’agit vraiment ici d’une maladresse. De la part d’un autre journal que Le Monde, on aurait pu considérer la juxtaposition comme une insupportable provocation. Je suis rarement choqué par les complaisances, les exagérations, les dérapages ou les bourdes de la presse – affligé, tout au plus. Là, j’ai vraiment ressenti de l’indignation.

(Et puis, l'indignation s'estompe quelque peu...)

(Et puis, les raisons de s'indigner, même, ne paraissent plus si évidentes...)