La littérature sous caféine


samedi 29 août 2015

La Tour sombre : tout et n'importe quoi

Je suis un grand fan de Stephen King - j'admire sa créativité monstrueuse, et la sorte de fécondation de l'imaginaire mondial à laquelle il se livre. Mais il faut reconnaître que certains de ses livres relèvent du grand n'importe-quoi. Je pense par exemple à sa série en 8 volumes, La Tour sombre, publiée tout au long de ses quarante ans de carrière, dans laquelle je me lance tout juste et qui réalise le miracle de compiler des genre innombrables: western, science-fiction, mondes parallèles, post-apocalypse, heroïc-fantasy, épouvante, et j'en passe… C'est comme un grand gâteau trop crémeux, trop coloré, complètement indigeste mais amusant aussi pour ça - avec, en prime, malgré tout, quelques scènes d'anthologie.

mercredi 29 juillet 2015

Rien de nouveau depuis l'Antiquité

Chaque fois que je lis stoïciens, épicuriens, cyniques et autres philosophes et moralistes antiques, j'ai l'impression d'une grande bouffée de modernité... Un peu comme si les deux mille ans qui avaient suivi ne nous avaient pas apporté grand-chose, sinon des raffinements excessifs, et pour tout dire assez monstrueux.

mardi 28 juillet 2015

De la scatologie en Allemagne

J'ai l'impression que l'Allemagne - et plus généralement les pays du Nord de l''Europe - ont un rapport particulier avec la scatologie, qu'ils abordent volontiers et dont ils s'amusent. Je pense aux récents succès de Giulia Enders ("Le charme discret de l'intestin", 2015) et de Charlotte Roche ("Zones humides", 2009). Ce rapport très pragmatique au corps aurait-il un rapport avec le protestantisme ?

lundi 27 juillet 2015

William Styron, équivalent catholique à Philip Roth

J'ai enfin trouvé l'équivalent catholique du génial Philip Roth : William Styron, dont l'époustouflant "Choix de Sophie", best-seller de 1979, fait feu de tout bois dans un style comparable à celui de Roth. Dramatisation, vigueur, fluidité, passion... Et puis cette obsession pour le thème des identités qui se rencontrent et qui se heurtent, en Europe comme aux Etats-Unis.

D'ailleurs, et cela ne me semble pas un hasard, Styron adresse dans son roman des clins d'œil appuyé à Roth, par exemple en nommant Nathan le personnage de Juif incandescent, amant de Sophie à New York; puis en évoquant la place éminente du "grand roman juif" dans la littérature américaine.

dimanche 7 juin 2015

Nauru dans "Le Monde des Livres"

C'est à l'occasion de mon sixième livre (et quatrième roman) que Le Monde des Livres (édition du 29 mai 2015) me fait l'honneur de quelques lignes - certes peu nombreuses, mais agréables.

"Spéculations insulaire

21 kilomètres carrés, 10 000 habitants : c'est l'île de Nauru, dans le Pacifique. Après son indépendance en 1968, ce minuscule territoire devint l'un des pays les plus riches du monde grâce à ses réserves de phosphate ; trente ans plus tard, l'Etat a fait faillite. Si ces faits sont réels, Aymeric Patricot a choisi de les raconter à travers le personnage fictif de Willie, Philippin immigré sur l'île, qui en deviendra le président, guidé par Erland, un Occidental qui l'initie au libéralisme. Grisé par ses premiers succès, Willie se laisse entraîner dans des placements hasardeux. Entre épopée et conte philosophique, c'est un livre profond et poétique sur les ravages de l'économie de marché et l'apprentissage de la liberté." (Virginia Bart)

lundi 20 avril 2015

"Des procès en sorcellerie défiant toute cohérence".

Un message de lecteur.

Bonjour Aymeric

Mon nom est (...). A la foire du livre de Limoges, je vous ai acheté un livre "Les petits Blancs", nous avons évoqué les "tabous" actuels et nous avons convenu qu'après lecture, je vous donnerais un avis.

Globalement, la lecture est agréable, alors que le sujet n'est pas de ceux qu'on cherche puisqu'il préconditionné par des procès en sorcellerie défiant toute cohérence. Et quand on évoque le racisme, le niveau d'instruction ne se rapproche ni de la Raison, ni de l'esprit scientifique, ni de l'humanisme.

A mes yeux, ce livre indique déjà clairement votre générosité, ce qui n'est pas si courant aujourd'hui, non qu'elle soit rare. Mais il faut du courage et une véritable empathie pour aller chercher, dans les multiples portraits que vous proposez, ce qui reste de sens à la vie de chacun, puis relier ces diverses expériences pour tenter de comprendre quelque chose qui serait à comprendre entre politique, pauvreté, couleur de peau, racisme, et pire, misère morale et tristesse, voire angoisses profondes et justifications de la violence.

Il est déjà important de dire que les rencontres que vous avez faites pour nous (pour moi), sont un vrai cadeau que j'ai apprécié, puisque c'est précisément le type de rencontres qu'on fait peu. Celles qu'on fait, on ne les approfondit que rarement. Et quand on les approfondit, elles gardent un caractère isolé qui n'apporte pas cette excellente variété de situations que vous avez su juxtaposer. Ainsi, on ne peut se défiler devant une réalité produite en série par notre société et dont les différences apparentes ne proviennent que des personnalités, des circonstances et d'un hasard débridé.

Vous exprimez clairement les sentiments et ressentiments de ceux qui se retrouvent sans avenir à construire puisque tout leur échappe. Les décisionnaires sont loin d'eux, tellement loin qu'à l'évidence ils n'habitent pas le même pays et ne font pas partie de la même communauté!

La partie que vous avez étudiée est bien analysée et les idées que vous proposez ont toujours de l'intérêt. Elles méritent d'être dites. Cependant, je ne suis pas sûr de comprendre l'objectif de votre livre. C'est le constat de situations humaines, avec des ressentis qui n'ont rien de réjouissants et je ne vois pas de causes, donc pas de solutions et pas d'espoirs.

Ce qui m'a posé problème, c'est ce vous écrivez à propos de votre idéal familial "principes rigides, finalement mortifères...", "je ne suis pas loin d'être un déclassé" et autres doutes que je n'étais pas sûr de comprendre... Et puis voilà que vous écrivez quelque chose qui me touche et m'intéresse et m'éclaire: "il existe un grand nombre de personnes qui dressent une barrière de feu entre elles et ces miséreux, les méprisant avec un sens redoutable de la bonne conscience .... Ils se considèrent comme distincts, exprimant leur opinion avec une brutalité, une candeur confinant au racisme...".

Pris par la lecture des portraits, je n'ai pas, en première lecture, accordé à ces pages l'importance qu'elles avaient et j'ai dû les rechercher et les relire pour en comprendre la réelle portée et réévaluer l'ensemble du texte.

J'ai l'impression que vous dites les choses avec mesure mais qu'au delà, tous ces portraits heurtent profondément à la fois votre intelligence et votre humanité, si tant est que les deux soient séparables. Et les deux ont effectivement été séparées pour parvenir à ce fiasco d'une civilisation qui a cassé ces valeurs qui étaient ses valeurs fondatrices.

C'est le sujet que je traite selon une position quelque peu complémentaire à la vôtre. Je suis un petit blanc par la pauvreté et le milieu social, sans en faire vraiment partie sur le plan moral. Ce petit blanc écrit à propos de l'élite, de sa pauvreté morale, de son incohérence intellectuelle, et essentiellement de son pitoyable racisme légalisé, entériné par la culture qui l'a intégré sans rien voir passer. Le portrait n'est pas individuel, il est général. La démonstration est simple, dure et redoutable.

Je peux vous envoyer quelques pages qui fondent la démonstration. Si vous voulez échanger avec moi à des fins d'intérêt général, toute critique est bienvenue puisqu'elle permet d'affiner le sujet. Moi qui avait placé beaucoup d'espoir dans le mérite, je le place aujourd'hui dans le revenu de base qui permettrait de rendre leur dignité à beaucoup d'exclus plus ou moins définitifs et remplacerait tout ou partie du social et de ses dossiers administratifs à déposer aux pieds des collaborateurs du système.[...]

mercredi 1 avril 2015

"Un roman très calmement très ambitieux"

Très bel article de Marin de Viry dans la Revue des Deux Mondes (avril 2015) à propos de "J'ai entraîné mon peuple dans cette aventure".

La trajectoire nihiliste et ratée des ambitieux à tête de vent

Une île du Pacifique dotée, malheureusement pour elle, de ressources minières. Un peuple alangui, vaguement consanguin, cancanier, de religion mal stabilisée, et perpétuellement renvoyé à lui-même par l'océan. L'histoire qui passe, de temps en temps : les Australiens débarquent et exploitent la mine, puis les Japonais l'envahissent, puis l'île est libérée et devient indépendante. Le narrateur, qu'on suit de l'ascension à la chute, n'est pas tout à fait natif de l'île ; il y a été importé, certes jeune, mais l'écart avec les vrais îliens est suffisant pour qu'il y puise un désir de s'intégrer à eux et de les dominer. Désir qu'il va assouvir en entrant dans l'administration de la compagnie minière gérée par les Australiens, principale pourvoyeuse de fonds de l'île, puis en faisant une carrière politique qui le mènera à la présidence, l'indépendance venue.

Trois pôles dans l'existence de ce narrateur : sa carrière politique, son adultère, sa femme. Et une sorte dalter ego fascinant et fatal, de modèle à moitié détesté inconsciemment, à moitié adulé : le directeur financier de la compagnie pour laquelle il travaille. Cet homme qui initie le narrateur aux ressorts du capitalisme est le portrait type du jouisseur libérallibertaire, au cynisme occidental, au relativisme moral, au détachement, et à la prédation décontractée.

C'est un roman de destin : on prend le narrateur jeune, on le quitte à l'agonie. Il aura raté sa vie entière parce qu'il l'aura orientée vers une réussite qui n'était pas la sienne. Heureusement pour lui, sa déchéance sera suffisamment longue et complète pour qu'elle prenne un sens précis. Il échouera à se faire réélire aux présidentielles face à son rival, qui est, lui, un pur îlien ; il perdra sa femme (et ses enfants au passage) ; il perdra sa maîtresse ; il perdra son ami. Il entrera dans l'éternité sans avoir rien accompli qui lui soit propre, et abandonné de tous. C'est un homme remarquable tout en étant sans bilan et sans rayonnement ; un homme méprisé, y compris par lui-même, qui a eu son heure de gloire. Où est l'explication de ce qui n'a pas marché ? Il a simplement commis une grosse erreur d'interprétation de la vie : la prendre pour un appel à une réussite empruntée. Ce roman suit au fond la trajectoire nihiliste et ratée de tous les ambitieux à tête de vent. Ça fait du monde.

Sur le dossier « femmes », le narrateur se met dans le pire des cas : il trompe sa femme tout en l'aimant. Dans ce cas extrême, la loi veut qu'il ne suffise pas de tromper sa femme avec sa maîtresse, encore faut-il tromper sa maîtresse avec sa femme : double ration d'hypocrisie et donc de travail psychique, auquel peu de cerveaux d'homme sont capables de résister durablement sans développer une pathologie chronique. Celle-ci a pour nom le syndrome de l'adultère sans cause : l'homme flotte bêtement entre deux femmes, et finit par flotter sur tous les sujets. Il choisit sa maîtresse sous le mince prétexte qu'il la désire depuis longtemps, qu'elle n'a rien contre les rapports sexuels dans les sous-bois et qu'elle est très belle. Sa maîtresse n'est que sa faiblesse, et il ne le voit même pas. Comme il est lâche, là aussi sans le savoir, cette aventure devient consubstantielle à sa vie ; pas moyen de la maîtriser ; et donc c'est elle qui le maîtrisera.

Sur le dossier politique, il profite de la vague de modernisation qui suit l'indépendance et de la pluie d'argent qui tombe de l'exploitation des mines pour engager son pays dans la voie de la modernité occidentale. Le peuple souverain marche dans la combine, jusqu'au moment où les revenus cessant avec la fermeture de la mine épuisée, le budget devient intenable, et le président se retrouve dans l'obligation, impossible à tenir, de financer ce qu'il a créé : beaucoup de services publics, plombés par des syndicats autistes. Et c'est la faillite. La naïveté du narrateur, dans le choix de ses attachements personnels comme en politique, est la conséquence d'une personnalité qui est restée à l'état de projet, tandis que son masque social est au contraire sophistiqué, abouti. Il s'est façonné sur le modèle de cet Australien qui lui apprend tout, qui lui désigne tous ses désirs. La personne du narrateur est une friche, son mensonge est une oeuvre.

C'est un roman frappant, profond, avec quelque chose de déterminé, de calmement ambitieux qui prévient en sa faveur. Je dirais même plus : il est très calmement très ambitieux. Rauque comme Conrad (la cruauté reptilienne dans un monde hostile et étrange), inexpiable comme Maupassant (l'art de la trajectoire).

vendredi 6 mars 2015

Brillant clocher (Clochemerle, Gabriel Lechevallier)



C’est une vraie surprise, ce Clochermerle de 1934. On connaît surtout Gabriel Chevallier pour son poignant roman La peur, transcrivant son expérience des tranchées, mais c’est avec cette fiction burlesque qu’il rencontra un succès planétaire. Je m’attendais à une pochade – comment espérer autre chose quand le texte annonce des rivalités granguignolesques autour d’une pissotière dans un village du Beaujolais ? Et la surprise est divine : le roman vaut beaucoup mieux que son argument. Les portraits s’enchaînent avec un imparable mordant, les bons mots sont légions, la satire féroce, les dialogues enlevés. Dans ce genre sarcastique, Chevallier vole mille coudées au-dessus d’un Jean Dutourd – laborieux – ou d’un Jacques Laurent – bavard. C’est d’ailleurs l’un des paradoxes de ce roman que de pâtir, en fin de compte, de son intrigue bas de plafond alors même qu’elle a fait son triomphe. Quoi qu’il en soit, je viens de trouver avec lui ma référence en matière de fiction comique – d’un niveau comparable à Trois hommes dans un bateau, par exemple.

« Jeune médecin, le Dr Mouraille commit pour la santé des corps la même erreur que commit, jeune prêtre, le curé Ponosse pour la santé des âmes : il voulut faire du zèle. Il attaqua la maladie avec des diagnostics audacieux, imaginatifs, et de violentes contre-offensives thérapeutiques. Ce système lui donna vingt-trois pour cent de pertes, dans les cas graves, proportion qui fut rapidement ramenée à neuf pour cent, lorsqu’il décida de s’en tenir à la médecine de constatation, comme faisaient généralement ses confrères des pays voisins. »