La littérature sous caféine


samedi 12 février 2022

"La Viveuse" au prix Sade

Très heureux d'être nominé pour la 2eme fois pour le Prix Sade, dont j'ai toujours aimé l'insolence et la beauté des choix. Il fallait de l'audace pour couronner le radical "Chienne" de Marie-Pier Lafontaine en 2020 et même pour accepter de mettre en lumière mon improbable "Homme qui frappait les femmes" en 2013. J'ai déjà eu l'occasion de dire à Laurence Viallet, membre du jury, toute mon admiration pour son travail d'éditrice, puisque Kathy Acker et David Wojnarowicz sont deux jalons de ma formation littéraire. La Viveuse n'a sans doute pas la radicalité de ces auteurs, mais l'impulsion de son écriture a puisé dans des sources comparables. Merci à Emmanuel Pierrat !

vendredi 11 février 2022

Les Gilets jaunes, deux ans après

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Mardi 22 février, je présenterai au cinéma CGR de Troyes le beau film d'Emmanuel Gras, "Un peuple", à l'issu duquel j'animerai un débat sur la question des Gilets jaunes, que j'avais abordée dans mon livre "La révolte des Gaulois". Après avoir remporté un prix à Cannes pour "Makala", qui suivait sans un mot le travail acharné d'un jeune Congolais qui produisait du charbon, Emmanuel Gras a posé ses caméras sur un rond-point pendant plusieurs semaines. Son film propose un regard sur les soubresauts de la crise, sans commentaire, mais il m'a semblé particulièrement juste et sensible.

mardi 8 février 2022

"Un roman tendre et doux"

"Un roman tendre et doux", dixit Flore Cherry à propos de "La Viveuse" pour l'émission de Brigitte Lahaie, "Parlons vrai" (Sud radio). Déjà, en 2013, Brigitte Lahaie avait été l'une des seules à m'accorder la parole pour un roman singulier, "L'homme qui frappait les femmes". Une nouvelle fois, en acceptant de diffuser cette belle chronique, elle fait preuve de sa sensibilité aux thèmes délicats et contemporains.

lundi 7 février 2022

Résister au désespoir par le style (Lectures connexes (4))

Le débat sur la prostitution fait rage, même dans les rangs féministes : faut-il l’abolir ? Faut-il en améliorer le statut ? Faut-il en revendiquer la pratique ? Près de vingt ans après sa mort, Grisélidis Réal garde son aura de prostituée assumant pleinement son travail – au grand dam de certaines franges du féminisme. Surtout, elle sublime le tout dans une œuvre incandescente et belle. On dirait une Nelly Arcan refusant de se laisser happer par le désespoir, à la force de son style et de son obstination militante.

(couverture du Magazine du Monde, 29 janvier 2021, Pascale Nivelle, Marie-Pierre Lannelongue)

dimanche 6 février 2022

"Lamour au temps du handicap" (Raphaëlle Dos Santos, à propos de "La Viveuse")

Par Raphaëlle Dos Santos, sur Culture31.com

"La Japan expo est un forum sur la culture populaire japonaise. On y croise des amateurs de Pikachu et de Lara Croft. C’est dans ce décor ambigu de dessins animés et de filles en mini-jupes, qu’une aide-soignante, Anaëlle, fait la connaissance de Christian, un handicapé. Jusqu’ici, trois hommes occupaient la vie d’Anaëlle : Philippe, avec qui elle hésite à s’installer (parce qu’il est trop « tendre », et finalement trop enfantin) ; Frank, un amant occasionnel (mais qui se révèlera instable) ; et son père, rendu amer par son récent divorce. La rencontre avec Christian va réorienter sa vie. Il l’attire – et très vite va se poser la double question des raisons de cette attirance, et de la sexualité. Elle se découvre animée par des désirs qui, si éloignés qu’ils semblent, se marient parfaitement : la bienveillance, la volonté d’« apporter du réconfort » ; et le plaisir de la mainmise sur son partenaire : Anaëlle aime que Christian soit physiquement à sa merci.

LA SEXUALITÉ ASSISTÉE

Guidée par Mathieu, un ami infirmier, elle découvre une association spécialisée dans « l’assistanat sexuel », tarifé ou bénévole. Elle participe à des réunions pour se former à cette « activité », qui pourrait devenir un métier : elle a besoin d’argent pour son père. Elle a bien sûr conscience de la difficulté que l’on aura à la distinguer d’une prostituée. Pourtant, ceux qu’elle rencontre dans l’association ne semblent pas poussés par des intérêts financiers – bien que leurs motivations ne soient pas toujours sans équivoque : « Je n’ai jamais été en couple et je n’ai plus de rapport avec ma famille, explique une jeune femme. Je considère les handicapés comme des frères de destin. Ce que je leur donne, c’est un peu comme si je me l’offrais à moi-même. »

Anaëlle est également ambivalente. Elle aime le « sentiment de puissance » que lui procure le corps des infirmes livrés à ses caresses. « Au fond, reconnaît-elle, la personnalité de [Christian] l’intéressait moins que son handicap ». Mais ses intentions changent selon les « patients » : « Elle glissa la paume sous la nuque afin d’inciter le jeune homme à se redresser, ôta la chemise qu’elle déposa comme une relique sur le dossier de la chaise. » Le mot et les gestes sont autant chrétiens et sacrificiels que médicaux. D’ailleurs, en sortant de la chambre de Martin, un myopathe, elle éprouve d’abord de la honte, une poussière morale qu’elle chasse d’un souffle : « Pourquoi se sentir coupable ? Elle avait travaillé au bien-être d’un individu diminué, et elle parvint à éteindre ses scrupules. L’épaisseur des billets faisaient une présence rassurante. »

SAINTE, PERVERSE OU PROSTITUÉE

Anaëlle est donc traversée par trois rôles, « celui d’une sainte, d’une perverse ou d’une prostituée », passant de l’un à l’autre en passant d’un patient à l’autre, de Christian à Martin, de Martin à Didier. En somme, La Viveuse est le roman d’une évolution psychologique à travers la sexualité. Partie de Philippe (grand enfant à la sexualité simple et sans surprise) et de Frank (à la sexualité excitante et animale), elle réconcilie avec Christian ses besoins de réconfort, de soin et de puissance, dans leur rapport ambigu à l’excitation sexuelle. Portée par un mélange d’altruisme et de narcissisme, de don de soi et de suprématie, elle sait que l’on n’échappe pas à la dépendance : on dépend tous de quelqu’un – le père d’Anaëlle dépend de l’argent de sa fille, les patients dépendent de la sensualité d’Anaëlle, et celle-ci dépend de l’argent qu’on lui verse.

RAPPORTS DE CLASSE

Une dépendance est un rapport de pouvoir, et tout pouvoir un rapport sexuel direct ou différé ; il était donc naturel que ce roman traitât des classes sociales, et des rapports de classe. À cet égard, il s’inscrit dans la lignée de deux autres livres, au moins, d’Aymeric Patricot : Les Petits Blancs et La révolte des Gaulois.

La Viveuse est le roman d’une prolétaire. Anaëlle a conscience d’avoir seulement « son corps à offrir » ; sa meilleure amie, Pauline, et certains de ses patients, sont d’un milieu aisé : ils ont les moyens financiers de s’offrir Anaëlle. Quand Pauline obtient un appartement pour le père de son amie, ce geste solidifie leur amitié et creuse ce qui les sépare – et qui est, encore une fois, la dépendance : Anaëlle n’aime pas se sentir redevable. Il en va différemment avec Christian, à qui elle refuse de « tarifer ses prestations ».

Une scène entre la mère du jeune infirme et Anaëlle montre d’ailleurs, dans la domination qui essaie de s’installer, un vrai rapport de classes : « Je ne fais pas ça pour l’argent », dit Anaëlle en refusant la somme que cette mère lui propose. « Ah bon, pour quoi alors ? ― Je ne sais pas… Pour l’amitié, peut-être. ― À d’autres ! » Cette femme aimerait mieux que son fils ait affaire à une prostituée : l’argent la rassurerait sur les intentions de cette « assistante sexuelle », qui, ramenée à la vénalité, en ressortirait en outre diminuée. En refusant d’être payée, Anaëlle échappe à cette mère, elle échappe à la domination, elle échappe à la société.

Ce roman riche et singulier passionne parce qu’il croise adroitement les questions morales, sociales, professionnelles, autour du sexe et du soin, de l’argent et de l’amour ; et parce qu’il devient une réflexion sur le pouvoir et la soumission, à condition de retirer à ces deux notions leur préjugé négatif – et c’est tout le talent d’Aymeric Patricot d’y parvenir, sans moralisation ni complaisance. Avec un essai, il aurait peut-être essayé de trancher la question ; en choisissant le roman, ce genre de l’ambiguïté, du croisement des contraires, il pousse le lecteur vers des régions qu’il n’aurait pas pensé visiter."

samedi 5 février 2022

Daruma pour La Viveuse

Cette semaine est sorti « La Viveuse », mon cinquième roman (et dixième livre !) – non pas le plus personnel, puisqu’il ne s’agit presque pas de moi, mais sans doute le plus abouti. Comme souvent, j’ai eu à cœur de mettre la main sur un sujet sensible et de l’éclairer par une prose assez sobre. Un grand merci aux éditions Léo Scheer qui, une fois de plus, prouvent leur ouverture d’esprit et leur générosité. Espérons qu’il trouve son chemin dans la jungle toujours plus féroce de l’édition française ! Pour l’occasion, j’ai noirci le premier œil du Daruma que je gardais précieusement dans ma bibliothèque depuis mon séjour au Japon, voilà vingt ans – nous verrons bien si le petit moine bouddhiste m’accompagne dans cette aventure, d’autant que le roman réserve quelques clins d’œil à la spiritualité zen.

mercredi 2 février 2022

Les féministes trahies par le porno (« La Viveuse », lectures connexes (3))

C’est assez drôle de lire, ici ou là, chez des féministes ou plus généralement chez des auteures, un certain désarroi devant leurs goûts en matière de porno (notons que le porno vit une certaine banalisation) : elles avouent trouver du plaisir aux vidéos classiques, conçues pour les hommes et souvent dénoncées comme telles, car mettant en scène des rapports non pas forcément de domination mais de soumission des femmes au plaisir de l’homme. Force est de constater que le porno féministe, woke ou antipratiarcal les ennuie ! Je pense notamment aux livres de Mona Chollet, « Réinventer l’amour » (La Découverte, 2021), et à celui de Claire Richard, « Les chemins de désir » (Seuil, 2019).

Comment l’interpréter ? Persistance d’un inconscient de soumission soufflé par le patriarcat dans les tréfonds de la chair ? Ou bien – mais cette thèse a quelque chose d’inacceptable aujourd’hui – y aurait-il des fantasmes et des rapports sexuels intangibles, une constance biologique dont aucune révolution ne viendra à bout ?

J’avoue ne pas avoir la réponse. Il semblerait en tout cas que la sexualité hétérosexuelle et basiquement genrée ait encore de beaux jours devant elle – pour La Viveuse, je ne me suis d’ailleurs pas aventuré sur le terrain des questions de genre, les thèmes croisés du handicap et de la sexualité hétérosexuelle générant déjà suffisamment de points sensibles.

mercredi 26 janvier 2022

"Et l'amour dans tout ça ?" ("La Viveuse", lectures connexes 2)

Il existe des chemins très différents menant à la prostitution. On pense souvent à la misère, voire à l’exploitation par les réseaux. Mais certains, plus rares, y viennent par goût ou par curiosité (je pense à la « Vie sexuelle d’un garçon d’aujourd’hui » d’Arthur Dreyfus), sinon par quête personnelle, la plupart du temps douloureuse. Les livres de Nelly Arcan offrent un témoignage assez saisissant de ce dernier genre de parcours. Dans des livres comme « Putain » ou « Folle » l’auteure québécoise, suicidée depuis, dit sa fascination et son dégoût pour le métier qu’elle pratique, incapable de se libérer d’un rapport complexe à ses parents – sa mère menant une vie végétative, son père ayant enfermé sa fille dans un rôle de poupée. Difficile dans ce genre de cas d’émettre un jugement de valeur, il est sans doute du seul ressort de la personne de trouver des clés pour sortir de cet enfer. D’où la naïveté de la réaction de Clotilde Courau, sur le plateau d’Ardisson (disponible sur Youtube), qui a cru bon de répliquer au témoignage de Nelly par des réactions du genre : « C’est un effet de mode, ça, de parler de sa vie sexuelle », ou bien : « Et l’amour, dans tout ça ? » Comme si certaines choisissaient littéralement de vivre en enfer.