La littérature sous caféine


lundi 11 mars 2013

"La violence dans ce roman n'existe pas"



Très bel article d'Ariane Charton sur son blog Les âmes sensibles à propos de L'homme qui frappait les femmes :

"Violence du vide

Le nouveau roman d’Aymeric Patricot aurait dû s’appeler L’Insoutenable, titre de la postface du livre (L‘Homme qui frappait les femmes fait parodie de Truffaut, mais peu importe). L’insoutenable ici c’est la violence. Mais il s’agit moins de la violence que le narrateur exerce sur les femmes que celle qu’il exerce sur lui-même. Et c’est cette violence contre lui-même qui m’a « touchée », qui pour moi est le vrai sujet du roman et en fait sa belle fragilité.

Aymeric Patricot a sans doute eu peur, en écrivant à la première personne, que le lecteur prenne son roman pour un autoportrait ou, tout au moins, qu’on puisse le soupçonner d’être trop fasciné par la violence. L’autofiction est tellement à la mode que l’on finit par la voir partout. La postface a pour but de lever toute ambiguïté.

Je me sens obligée de préciser à mon tour que si je ne vois aucune réalité dans la violence qu’exerce le narrateur cela ne signifie pas du tout que j’excuse les hommes (ou les femmes d’ailleurs) violents. Mes propos ne concernent que l’impression que m’a donné la lecture de ce livre. Je peux tout à fait admettre que d’autres lecteurs soient mal à l’aise en lisant ce déferlement de violence.

Pour moi la violence dans ce roman n’existe donc pas : je n’en fais pas le reproche à l’auteur, ce n’est pas une faiblesse dans les descriptions ou la construction. L’auteur me fait simplement voir plus loin que les coups assénés à une fille de passage dans les toilettes d’un bar ou contre son épouse. A la lecture du roman, ces femmes frappées par le narrateur me semblaient ne pas exister. À aucun moment, je n’ai été gênée ou prise de malaise. Sentiment presque opposé à celui que j’ai ressenti en lisant (sans parvenir à le finir) American Psycho qui est, à mes yeux un roman intolérable fait de sadisme et de crimes gratuits.

Le narrateur d’Aymeric Patricot est un être passif : il a commencé à battre des femmes un peu par hasard, au collège, en s’en prenant à une petite peste qui l’avait giflé. Et même si ensuite il chasse pour céder à sa pulsion, il cherche des femmes de hasard, il laisse donc toujours la vie le porter. Le mépris qu’il a pour lui-même et tel que dit-il c’est avec « le plus grand des regrets» qu’il se défendrait si quelqu’un voulait le « réduire au silence ». Il a des doutes sur « la légitimité de (s)a personne. »

Pour moi les femmes ici ne sont pas battues en vrai, comme si tout restait à l’état de fantasme. D’ailleurs, si le narrateur éprouve un certain plaisir à frapper, il ne voit pas non plus les traces de ses coups. Son fantasme, le seul dont il se dit être capable, le fait souffrir car même s’il finit par assouvir une pulsion lorsqu’il frappe une femme il n’en tire qu’une jouissance médiocre, une jouissance qui est comme un miroir dans lequel se reflète son visage d’être fade, « insignifiant » pour reprendre un terme dont le narrateur use lui-même pour se qualifier. Ce narrateur a conscience qu’il est un salaud de taper sur les femmes, a conscience qu’il est hypocrite (et encore le mot est faible) en faisant carrière comme président d’une association de défenses des femmes. « Ma vie toute entière semble tenir dans ce pied de nez à la morale » : tel est le seul héroïsme dirais-je dont le narrateur puisse se vanter.

La force troublante du roman est la capacité de l’auteur à nous faire voir son récit par les yeux de son narrateur. Le style classique, musical, maîtrisé d’Aymeric Patricot (qui n’est pas sans me faire penser à celui de Philippe Vilain), participe à la force du livre, participe à créer une intimité entre le lecteur et le narrateur. Nous avons tous au fond de nous de « misérables petits tas de secrets », de misérables petites médiocrités et nous nous révoltons contre cette insignifiance, contre notre statut de grain de sable dans l’immensité du monde. Nous avons en nous une violence qui est comme une affirmation de nous-mêmes. Notre éducation, notre sagesse, notre capacité à trouver d’autres moyens de nous affirmer, heureusement, nous permettent la plupart du temps de canaliser cette violence, cette révolte. Le narrateur d’Aymeric Patricot, lui, pauvre de lui, n’a trouvé que les coups pour se donner le sentiment de vivre, d’être. En même temps au moment où il exerce une force sur l’autre, sur une femme (car il a peur des hommes), le narrateur sent le mépris de lui-même monter en lui comme une nausée, ce qui ne fait que redoubler son ardeur à frapper. Ensuite, il oublie. Il faut peut-être le regard de son fils de 4 ans (mais un homme quand même) pour qu’il prenne momentanément conscience de son acte. Lorsqu’il a peur d’être dénoncé ou peur d’être châtié par ses victimes, il éprouve aussi le sentiment d’exister. Vers la fin du livre, il se terre chez lui. Cette déchéance, cette peur d’être puni est une sorte de libération. Le narrateur voit dans sa chute une façon d’expier. Un thème que l’on retrouve souvent chez les Russes, notamment Dostoïevski. La souffrance, la peur, les privations qui accompagnent l’expiation lui procurent même une sorte de jouissance. Le narrateur, à la fin, est apaisé, capable de s’accommoder de sa personne jusqu’à ce que sa mort le délivre de lui-même

La violence du narrateur est un prétexte comme un autre pour décrire le mal-être d’un homme qui peut être chacun de nous. La clé du mal-être se trouve à la fin du roman : l’homme ne peut s’aimer s’il n’a pas été aimé enfant, il faut lui montrer l’exemple.

Dans ce roman, ce sont les femmes qui triomphent, au bout du compte. D’ailleurs, la partie est facile à gagner tant ce narrateur se méprise, se hait. J’étais en sympathie avec le désespoir de ce dernier qui est même trop lâche pour se suicider, qui ne croit à rien ni en un dieu ni en l’homme, qui ne voit dans les rapports sociaux que fausseté. Je ne sais pas si l’auteur a songé à l’Etranger d’Albert Camus. Il me semble en tout cas que ce n’est pas un hasard si la clé du roman se révèle au moment où il apprend que sa mère est morte. Il l’apprend par des cousins, comme un événement qui ne devrait pas vraiment le concerner. Il ne savait même pas qu’elle était malade. Comme l’acte de Meursault tuant un Arabe sur la plage, les coups donnés par le narrateur ne sont que des révélateurs d’une réalité plus violente : il ne trouve pas de sens à sa vie, elle est vaine. Aymeric Patricot décrit avec beauté cette absurdité. « Je trouvais parfois la vie d’une tristesse insondable, d’une épouvantable matière noire, et tout m’y apparaissait à la fois répétitif et tragique. J’avais la désagréable impression que mes gestes se reproduiraient à l’identique, et pour toujours, avec une dose supplémentaire de lassitude à chaque fois. Je ne voyais pas de solution. Sans cette chose qu’était la brutalité, je percevais mon existence comme une forme terriblement vide, et j’étais angoissé chaque fois que j’imaginais ce que j’aurais été sans elle. Paradoxalement, c’était cette vacuité qui me déprimait. »

La violence ici c’est le destin de Sisyphe.

La postface, comme un bref essai, élargit la question de la violence ou plutôt se déporte sur une autre question : la difficulté de vivre. Cette difficulté qui s’apparente à une violence que nous éprouvons intérieurement.Vivre est bel et bien un métier, un difficile métier. Notre façon de le rendre plus doux, c’est d’accepter la vie. Mais cette douceur ne peut venir que de nous-mêmes, pas de l’extérieur. L’auteur évoque différents aspects de ce sentiment d’insoutenable existentiel, je lui conseillerai d’en exploiter certaines. D’oser le faire. Il en est capable.

A la fin de sa postface, Aymeric Patricot dit rêver de passer à « une littérature parfaitement apaisée (…) décrivant un monde unifié, beau, séduisant, aimable, point d’aboutissement d’efforts millénaires ». Je rêve de bonheur mais en littérature, je le crois difficilement exprimable sur la durée sans être ennuyeux ou bon pour la ménagère de moins de 50 ans des écrans publicitaires. Tout juste peut-on décrire les effleurements du bonheur, toujours fugitifs car toujours menacés. Je pense à José Cabanis (hélas trop oublié) et à Alain-Fournier, dans certains passages de ses lettres à Jacques Rivière. Dans les deux cas, ces caresses du bonheur qu’ils décrivent sont liées à la nature. Peut-être est-elle le cadre le plus rassurant pour notre repos, plus rassurant peut-être qu’un bel édifice ?

Mais, penser que nous pourrions aujourd’hui aboutir à une littérature apaisée, c’est croire que l’humanité progresse. Je ne le crois pas. L’homme d’aujourd’hui est le même que le voisin d’Homère. Mais tant que la Terre existera, il se trouvera des hommes pour écrire sur l’humanité, dans ses grandeurs, ses petitesses, ses malheurs et ses joies.

L’Homme qui frappait les femmes est un chant désespéré, humain et intemporel dont nous avons grand besoin dans notre société matérialiste où tout va vite, où l’on peut se donner l’illusion d’exister en tweetant, où l’on n’accepte si peu son anonymat, où il faut du plaisir, du bien-être à tout prix. Un chant dans une époque qui pèse « sur les individus d’une manière particulière » comme l’écrit l’auteur dans sa postface. « (I)l y a des compromis, des pressions, des souffrances provoquant, même de manière ponctuelle ou localisée, cette sensation d’Insoutenable. » Et quand nos angoisses existentielles se rappellent à nous, étourdis que nous sommes par cette société multimédias, elles le font peut-être avec d’autant plus de violence, justement.
"

mercredi 6 mars 2013

Entretien express - et néanmoins décoiffant - avec Marc Molk pour "La disparition du monde réel" (Buchet-Chastel)



(Photo: copyright Isabelle Rozenbaum)

Des couples qui se font et se défont dans un mas provençal… Sur cette trame classique (c’est presque un genre en soi, le roman-de-familles-qui-se-retrouvent-dans-une-maison-de-vacances), Marc Molk brode une savoureuse fiction construite par scénettes et courtes digressions. La deuxième personne, le présent de narration accentuent le côté pétillant d’un texte dont la légèreté de forme cache cependant une surprenante amertume : cette Disparition du monde réel (Buchet-Chastel, mars 2013) ressemble furieusement à une disparition de toute illusion sur le monde réel.

Le narrateur – faut-il parler de narrateur quand il s’adresse à vous comme si vous étiez le personnage ? – souffre du spectacle de ces amours qui se délitent à l’aube de la quarantaine... Mais peut-être, aussi et surtout, de l'époque dans son ensemble, une époque marquée par la nostalgie, par une sexualité désenchantée, par toutes ces carrières artistiques avortées, par l’angoisse de ces femmes qui aimeraient devenir mères sans y parvenir…

En fin de compte, Marc Molk dresse le portrait d’une génération singulière, jouissant d’un indéniable confort matériel mais minée par la perte – irréversible ? – d’un contact simple et serein avec le monde.

Dans ce crépuscule, il y a cependant l’humour. Et nous avons droit à quelques paragraphes d’anthologie, de courts passages où s’exprime tout le grotesque d’une époque, toute la folie des contemporains - folie proprement libératrice.

J’aime beaucoup cette phrase, par exemple :

« Vous aimeriez la voir manger salement un plat très gluant accroupie nue dans les douches du vestiaire hommes d’un gymnase soviétique abandonné. » (Page 45)

Quant à ce passage, il vaut son pesant de cacahouètes :

« Vous êtes tous les deux conscients de passer à une étape qui sera essentiellement symbolique. L’odeur du latex, la difficulté de la pose, le serrement ressenti sur le sexe qui par empaquetage tue toute finesse de pression, la laideur de la bite qui ressemble alors à du flétan surgelé, tout dans le préservatif dissuade du plaisir. Mais vous n’êtes pas des inconscients, vous ne voulez pas qu’elle pense cela de vous, et il faut bien au moins une pénétration pour être plus l’un pour l’autre que deux personnes qui se plaisent. »

Trois questions à l'auteur.

1) On croit reconnaître dans ton roman certains de tes proches. D'où cette question, à la fois indiscrète et illégitime, car je ne devrais pas chercher à débrouiller le vrai du faux en littérature : Dans quelle proportion ce texte parle-t-il de toi ?

Ni indiscrète ni illégitime, je ne comprends pas ta question. Tu es rompu à la théorie littéraire, aux questions d’autorarité ou de distance avec les faits, moi aussi... mais au final, il y a des constats simples à faire. Le principal est sans doute que le réel n’existe pas, ou bien qu'il intègre nos lubies, nos fantasmes, bref tout l’imaginaire qu’il suscite et qui se redéverse en lui pour s'y rafraîchir avant une toute nouvelle ubris. Alors je botte en touche, je fais semblant de ne pas comprendre ta question, histoire d’éviter d’y répondre précisément, avec un pourcentage que je pourrais fixer, en fait. Mais cette parade a du sens. Mon roman décrit justement ”la disparition du monde réel” au coeur d’une subjectivité mélancolique. La retraite en soi, les répercussions exagérées d’événements mineurs sur la psychologie hypertrophiée du narrateur, finissant par créer un monde invisible, en creux, grossissant symétriquement au détriment du monde-qui-est-là-pour-tous, tangible, littéralement siphonné de sa sève par cette "vie rêvée". Qu'importe ce qui s'est réellement passé, qui est qui, qui se reconnaît, puisque tout ce qui est raconté s'est passé quelque part, dans ma tête au minimum. D'ailleurs maintenant cette sauce cervelleuse est imprimée, sur les tables des librairies, elle a rejoint le monde officiel pour de vrai. Je te ferai des confidences un soir quand on aura bien mangé avec des amis et qu'ils nous feront un peu chier. Au coin de la table on jouera à la part des choses, mais ici, publiquement, je ne lâcherai rien.

2) Pourrais-tu me parler de ce ton désabusé, du véritable désenchantement qui me semblent imprégner ce texte ?

Le ton, véritable enjeu littéraire s'il en est. Je n'ai pas fait exprès mais j'ai voulu qu'il s'installe celui-ci, quitte à lasser. Je crois presque plus au ton qu'au style. C'est le ton qui inspire. Il ne s'agit pas de mon ton mais du ton de ce livre. Je caquette là mais j'ai peur d'avoir foiré des trucs. Je veux dire que je ne suis sûr de rien, je veux le dire avant de continuer à essayer de te répondre, parce que je me relis et qu'on dirait le résumé des actes du dernier Cerisy : "Ceci c'est cela, le contraire du truc, c'est évidemment la racine du bidule inverse, voilà, c'est Barthes qui l'a dit, etc".
Le ton c'est le ton de "la voix du dedans" dont parle Léo Ferré dans "Vingt ans", cet étourdissant chef-d'oeuvre (Quand il la chante à Bobino en 1969. Le studio ce n'était vraiment pas bon pour Ferré, ça le rendait overlyrique sans raison). La difficulté c'est de faire la distinction entre le ton de l'humeur, du moment, qui te fait écrire plusieurs pages lestes ou quasi-gothiques, et le ton de "l'époque personnelle" à laquelle tu écris, ton époque à toi. Là pendant plusieurs mois, parfois plusieurs années, tu gardes un ton. Tu ne le choisis pas mais il est là, il faut attendre qu'il s'en aille s'il ne te plaît pas. Il y a des contradictions dans ce que je dis mais débrouille-t-en, débrouillez-vous-en. Ah oui ! Unifier le texte, le retravailler, le polir, l'accorder comme on accorde un piano, c'est un risque toujours, celui de la moncordie (qui rime avec monotonie). Mais sans courir ce risque, comment atteindre à une atmosphère, un état de conscience, de soi et du lecteur, particulier ? Tout est dans la balance des graves.

3) Au tout début du roman, tu évoques, sans y revenir par la suite, la lumière d'une "ancienne France d'essence joyeuse", appelée à disparaître... Qu'entends-tu par là exactement ?

La France c'est fini apparemment. C'est vraiment la fin des haricots. Obélix prend la nationalité russe, les enfants de nos riches font leurs études à Harvard, tous. Bernard Arnault se barre en deux mois avec LVMH en Belgique. Personne ne bouge. Moi j'ai de la salive dans la bouche en permanence parce que ma mère m'a expliqué qu'il était grossier de cracher, sinon je cracherai tout le temps et sur beaucoup de monde. Je me souviens de ma grand-mère, elle était provençale, et cela me fait une peine immense. Heureusement elle est morte depuis longtemps. Si elle voyait "la côte d'azur", toute sa région, elle hurlerait en courant les yeux écarquillés sous les pylônes électriques, les énormes boîtes de nuit façon bunkers en béton, les ronds-points mafieux tous les cinq mètres, elle hurlerait. Nous nous n'avons même plus l'idée, je ne dis pas la force mais l'idée de pleurer. Tout le monde se shoote pour oublier, se barre en Australie ou en Thaïlande. "Les pauvres" font croire qu'ils restent mais ils sont partis dans leur tête depuis longtemps. Moi je connais des gens qui travestissent la misère en décroissance dans un acte de résistance mentale supérieur. J'en connais plein. Je n'aspire qu'au sang, je reste car j'ai tellement d'ancêtres qui ont espéré la France qu'ils me renieraient si je la quittais. Alors j'attends, j'attends et j'espère l'explosion de violence, la manifestation du génie français de la guerre civile. Et j'écris mes nostalgies, des fois que ça plante des graines colériques dans quelques têtes.

mardi 5 mars 2013

"Dans le registre du splatterpunk à la française..."

Très heureux d'apprendre, par le biais d'un article sur le site Froggydelight.com, que "L'homme qui frappait les femmes" s'apparente à un mouvement dont je ne connaissais pas le nom mais dont je connaissais les oeuvres et qui me séduit déjà, le splatterpunk :

"L'homme qui battait les femmes" : titre choc et accrocheur pour le quatrième roman de Aymeric Patricot qui présente la particularité de produire un double effet, celui de l'arbre qui cache la forêt et de la partie émergée de l'iceberg.

En effet, il évoque immédiatement le phénomène sociétal particulièrement sensible de la violence conjugale, alors qu'il vise plus largement la violence contre les femmes, thématique qui, au demeurant, sert de véhicule, voire d'illustration, à ce qui paraît le vrai sujet du livre, le malaise existentiel d'un psychopathe.

Aymeric Patricot livre, dans le registre du splatterpunk à la française, l'autoportrait d'un homme ordinaire et apparemment bien sous tous rapport qui, sans raison psychologique, familiale, sociologique voire physiologique évidente, a laissé libre cours à son penchant addictif à la violence.

Et ce uniquement à l'encontre des femmes qui constituent des victimes plus faciles que les hommes, tout en devenant, comble de l'ironie, président d'une association de défense des femmes battues, engagement qu'il considère comme un véritable défi.

Ce qui rend la lecture de cette confession sans regrets ni remords particulièrement éprouvante, confinant parfois au malaise, tient, en premier lieu, à la crédibilité du personnage et à l'absence de circonstances atténuantes.

Ensuite, et surtout, parce que le quidam, qui est cultivé et intelligent, conscient de cette pulsion, qu'il qualifie de vice, de colère, d'amie perverse ou de rage, va l'instrumentaliser de manière délibérée ("J'avais suffisamment fréquenté l'animal que j'étais pour savoir, d'une part, comment tenir en bride mes pulsions, d'autre part, comment les assouvir sans prendre de risque") allant jusqu'à l'élaboration de scénarios-type pour parfaire et diversifier son mode opératoire.

Car être "un petit bourgeois brutal qui bat sa femme" est insuffisamment gratifiant pour celui qui ambitionne d'être "considéré du côté des psychopathes, ces grands malades inassimilables, que leurs accès de rage isolent mais qui les rendent uniques".

Conscience malheureuse fermée au principe de plaisir ("Je trouvais parfois la vie d'une tristesse insondable, d'une épouvantable matière noire, et tout m'y apparaissait à la fois répétitif et tragique") et indifférente au monde comme à l'altérité à la manière de "L'étranger" de Marcel Camus dont l'auteur reconnaît l'influence ("Tout m'apparaissait nimbé d'un brouillard d'indifférence..."), il est immergé dans une mélancolie pathologique.

Une mélancolie qui se constitue autour d'un moi dévalorisé ("le sentiment d'être totalement insignifiant" considéré par ses parents comme "un garçon réservé, sans confiance ni charisme", "Au fond, j'étais un homme humilié") et d'une vacuité tant spirituelle qu'émotionnelle ("Il y avait quelque chose de lisse et de monotone dans la succession des semaines, et même d'insupportable : ce n'était donc que ça le bonheur ?") pour laquelle la brutalité constitue un exutoire ("Sans cette chose qu'était la brutalité, je percevais mon existence comme une forme terriblement vide, et j'étais angoissé chaque fois que j'imaginais ce que j'aurais été sans elle. Paradoxalement, c'était cette vacuité qui me déprimait").

Rédigé d'une plume clinique sans affect et ressortissant au genre de la fiction transgressive, ce roman bref est tout aussi dérangeant qu'inquiétant dans la mesure où il substitue à l'image du "monstre", relativement rassurante par son exceptionnalité, celle de la perversion ordinaire.

Il est suivi d'un essai totalement dispensable, voire incongru, par lequel l'auteur, par ailleurs professeur agrégé de lettres modernes, cède à la tentation du didactisme en expliquant sa motivation quant à la pratique d'"une littérature prenant en charge l'insoutenable".

jeudi 28 février 2013

"Dérangeant et classique"

Sur le site Toutelaculture.com :

"Après « Suicide Girls » (2010), la plume à la fois dérangeante et classique d’Aymeric Patricot est de retour aux éditions Léo Scheer. Dressant le portrait d’un citoyen lambda qui ne peut résister à ses pulsions de violence à l’égard des femmes, « L’homme qui frappait les femmes » frappe un grand coup de pied dans la fourmilière de la nature humaine. En librairies depuis le 6 février 2013.

Le narrateur revient sur la face cachée d’une vie préoccupé par les femmes, mais pas par leur beauté ou leur douceur, plutôt par les bleus infligés. Éducation sentimentale, régime d’équilibriste, puis chute inévitable, le roman détaille avec art le parcours de cet homme qui ne connaît que le plaisir de frapper les femmes, quitte à puncher son coup incognito dans une arrière-cour avant de fuir lâchement, la peur d’être démasqué au ventre…

Extrêmement bien écrite, cette confession sans gants, ni refoulements a à la fois quelque chose de suranné dans le ton. Sorte de pastiche de monologue de libertin du 18ème siècle, qui serait esclave d’un vice particulièrement choquant, le texte grésille cependant de toute l’énergie de cette violence enfin défoulée. le contraste entre cette forme traditionnelle et le fond complétement tabou et actuel renforce d’autant l’impression de malaise. Il semble donc dommage que l’auteur se sente obligé de philosopher après s’être montré si bon littérateur, dans une postface où il tente de se disculper de tout lien d’inspiration direct. On aurait encore préféré la traditionnelle préface disant que le journal de cogneur de femmes a été retrouvé par le narrateur quelque part sur un banc public dans un parc… Mais à ce détail près, le texte se tient, dense et noir, et nous tenons là un roman de très grande qualité
."

lundi 25 février 2013

Bonheur d'apaisement, bonheur de passion (Emily Brontë, Les Hauts de Hurlevent)


Les Hauts de Hurlevent Bande annonce du film par LE-PETIT-BULLETIN

Un bien étrange roman que ce classique anglais du 19ème, Les Hauts de Hurlevent. L’argument aurait été parfait pour une tragédie classique : un père adopte un Bohémien ; ce dernier provoque la jalousie du fils légitime et suscite l’amour de la fille, mais cette dernière au lieu de l’épouser choisit un homme de son rang. Cela provoque chez l’enfant adopté une terrifiante envie de vengeance. Elle emportera dans le malheur deux familles entières, et sur deux générations.

Seulement, au lieu de s’en tenir à ce fil narratif, l’auteur prend le parti d’un incroyable déluge de manipulations, d’un flux torrentiel de sentiments excessifs. On a l’impression que les personnages – et surtout la Catherine amoureuse du bohémien et préférant un mariage bourgeois – se ruent délibérément dans le malheur, refusant les choix tranchés, privilégiant l’extase et le désespoir. Que de méchancetés, que de soupirs délirants !

Que de rebondissements invraisemblables, aussi. Ou bien des rebondissements présentés en trois phrases alors que l’auteur aime tant par ailleurs étirer sa prose : les péripéties ne sont que prétextes à nouveaux développements passionnés. Prolonger la vie, prolonger l’intrigue pour mieux souffrir et mieux sentir chaque supplice ! Ce n’est pas pour rien que le livre est considéré comme un chef-d’œuvre du romantisme : on dirait un bréviaire de tout ce qu’il est possible d’endurer en termes de vertiges et de passions.

Dans ce maelstrom, superbe par moments, une page se détache à mes yeux, une page étonnamment classique où Cathy, la fille de la première Catherine, parle de bonheur avec Linton, son cousin – et je pense qu’il est très juste de distinguer comme elle le fait deux bonheurs possibles, un bonheur d’apaisement et un bonheur de passion. En fin de compte, il me semble que tous les malheurs des personnages d’Emily Brontë découlent de cet affrontement, chez eux, entre ces deux conceptions, soit qu’elles séparent les personnages, soit qu’elles déchirent les consciences :

« Il avait prétendu que la manière la plus agréable de passer une chaude journée de juillet était de rester étendu du matin au soir dans les bruyères sur un coin de la lande, cependant que les abeilles bourdonnent comme en rêve autour des fleurs (…) La mienne était de se balancer dans un arbre au feuillage bien vert et bruissant, alors qu’on sent souffler le vent d’ouest et que de beaux nuages blancs passent rapidement dans l’espace. Et comme oiseaux, non seulement des alouettes, mais des grives, des merles, des linottes, des coucous, qui font de la musique de toute part ; au loin, la lande qu’on aperçoit, coupée de vallons sombres et frais, de crêtes couvertes d’herbes hautes qui ondulent comme des vagues sous la brise (…) Il voulait que tout repose dans une extase tranquille, et moi, je voulais que tout vibre dans une gloire étincelante. Je lui dis que son paradis ne serait qu’à moitié en vie, et il me dit que le mien serait ivre. » (Hauts de Hurlevent, Folio, page 289)

jeudi 21 février 2013

"Un homme dont on ressent la tristesse et qui, malgré tout, nous émeut"

Un article de Loïc Di Stefano sur le site Salon-litteraire.com :

"[…] la brutalité […] cette amie perverse »

C'est un roman assez dérangeant que celui d'Aymeric Patricot, au point où il estime nécessaire de le faire suivre d'une manière de justification consacrée à "l'Insoutenable", sujet même de son roman. Cette démarche étonne, à moins que l'auteur ne se prenne pour Molière... Le sujet de cet insoutenable ? L'homme qui frappait les femmes raconte la vie d'un homme obsédé par un besoin de violence envers les femmes, la sienne, celles qui passent, celles sur lesquelles il peut taper, d'abord des baffes puis, dans un désir de destruction, des coups de poings...

« Je ne voyais pas de solution. Sans cette chose qu'était la brutalité, je percevais mon existence comme une forme terriblement vide, et j'étais angoissé chaque fois que j'imaginais ce que j'aurais été sans elle. paradoxalement, c'était cette vacuité qui me déprimait. »

Découvert par hasard quand une jeune fille le frappe au lycée et que, contrairement aux usages, il lui rend sa baffe, cette brutalité devient vite consubstantielle au narrateur. Il organise toute sa vie en fonction de la possibilité d'assouvir cette pulsion. Comble de l'ironie, c'est comme président d'une association de lutte contre la violence faite aux femmes qu'il atteint son plein épanouissement personnel.

« […] J'avais suffisamment fréquenté l'animal que j'étais pour savoir, d'une part, comment tenir en bride mes pulsions, d'autre part, comment les assouvir sans prendre de risque. »

Le roman est le parcours d'un homme rongé par sa pulsion, et cette pulsion est ce qui rabaisse l'homme aux yeux de toute la société, l'acte le plus vile et le plus méprisable qui soit. Pourtant, frapper une femme ne lui confère aucun pouvoir sur elle, ce n'est pas pour lui un acte de puissance machiste, ce n'est même pas cela, c'est juste un besoin, une pulsion maladive... Le ton assez neutre pose un climat presque technique, pour éviter toute empathie, mais laisse sourdre la souffrance du narrateur qui comprend que ce qui le détruit lui est nécessaire.

Ce qui est vraiment dérangeant dans ce roman, c'est que le lecteur, au fur et à mesure, oublie la violence faite aux femmes, en fait une anecdote dans le parcours d'un homme dont on ressent la tristesse et qui, malgré tout, nous émeut
"

mercredi 20 février 2013

"Un coup de coeur particulier..." (Europe 1)

Interview par Valentin Spitz dans l'émission "Des cliques et des claques" (quel titre merveilleusement accordé au livre !)


"L'homme qui frappait les femmes" (A... par monsieurping2

jeudi 14 février 2013

Avec Brigitte Lahaie sur RMC


Brigitte Lahaie / A.Patricot : "L'homme qui... par monsieurping2