Bilan mitigé pour ma première intervention dans l'émission de Taddéi, "Ce soir ou jamais", sur le thème de la mixité : on m'a souvent coupé la parole et j'ai eu de la peine à la reprendre puis à me lancer dans un de ces couloirs rhétoriques qu'affectionnaient les autres, manifestement rompus à l'exercice. J'en avais, pourtant, des choses à répondre - notamment à Thomas Guénolé ! Je saurai sans doute mieux m'y prendre, si l'on m'en redonne l'occasion...
("Pour débattre de la mixité sociale, Frédéric Taddéï réunit l'économiste et sociologue Eric Maurin, l'essayiste Hacène Belmessous, la présidente du Conseil national de l'Evaluation du Système scolaire Nathalie Mons, le politologue Thomas Guénolé et l'écrivain Aymeric Patricot. Nicolas Godin, dont l'album «Contrepoint» sort le 18 novembre, se produit en live au cours de l'émission.")
Homère a vraiment construit son Odyssée comme on construit aujourd'hui les Vigilante Movies - ces films où le protagoniste, pour accomplir sa vengeance, s'affranchit des lois communes : un prologue où Télémaque, le fils, fait le décompte douloureux de tout ce que les prétendants font subir à la famille d'Ulysse; un corps de texte où les épreuves qu'affronte Ulysse, sur le chemin du retour, ne font que renforcer sa rage et sa détermination; un long final où la haine grandit lentement pour éclater dans un effrayant bain de sang, au cours duquel le héros perdrait presque son humanité.
La cinéphilie va-t-elle disparaître ? Je lance un ciné-club dans le cadre de mes classes préparatoires et, en dépit de la belle affluence, je me demande si le goût pour les classiques, les films singuliers, les chefs-d’œuvre, n’est pas en train de se raréfier. Sur cent élèves, à peine deux ou trois ont déjà vu un Woody Allen ou un Scorsese – et la plupart ne connaissent même pas ces noms-là. Résultat de l’omniprésence des séries ? Accélération du temps, de la consommation, de la valse perpétuelle des références ? Ou bien simple vieillissement, et donc éclipse partielle, des quelques artistes qui forment mon panthéon ?
Quand on évoque les fameuses "racines culturelles" de l'Europe, on fait généralement référence au judéo-christianisme, un peu moins souvent à la culture gréco-latine, parfois à d'autres influences plus récentes, mais presque jamais à ce véritable continent imaginaire que représentent les récits du Moyen-Age, ce bouillonnement épique et merveilleux dont a parlé Jean-Pierre Legoff, et notamment l'univers légendaire celtique (mais aussi germanique, scandinave...) si bien représenté par le cycle du Graal et des chevaliers de la Table ronde.
Chrestien de Troyes, Boron, Malory... Autant d'auteurs dont la richesse de plume n'a rien à envier à celle d'Homère, et je m'étonne toujours que l'on oublie - ou que l'on feigne d'oublier - l'étonnante fécondité de cette littérature. Préjugé persistant sur "l'âge sombre du Moyen-Age" ? Gêne à évoquer le fait qu'il puisse exister une culture européenne substantielle ? Heureusement que cet imaginaire-là continue malgré tout à vivre par l'intermédiaire de la création contemporaine - par exemple par le biais de ce film sublime, en passe à mon avis de devenir un véritable classique: Excalibur, de John Boorman (1981).
Si je tarde à lire "Eva" de Simon Liberati (Août 2015), et alors même que cette même Eva (Ionesco) se trouve en couverture de "Suicide Girls" (2010), c'est que j'hésite à déflorer le mystère de cette photo somptueuse qui nous semblait, à mon éditeur et à moi, correspondre idéalement à mon histoire de jeunes filles perdues dans leur propre noirceur. Eva chercherait d'ailleurs un peu plus tard à faire retirer cette couverture, sans succès cependant puisque c'est sa mère, auteur de la photo, qui en détenait encore les droits.
Chaque fois que je lis du Racine, je suis taraudé par la question du public de l'époque : comment faisait-il donc pour comprendre l'intrigue ? Par quel miracle pouvait-il saisir, en temps réel, la signification de ces vers extrêmement denses, saturés de métaphores et de références mythologiques ? Baignait-il vraiment dans une culture antique qui le préparait à ce genre de pièces ? Avait-il eu vent de l'intrigue avant la représentation ? Etait-il si raffiné, si cultivé ? Ou bien venait-il au théâtre, au fond, surtout pour se faire voir...