La littérature sous caféine


samedi 30 décembre 2023

L'ange du bizarre

André Breton se serait régalé à parcourir les allées du Frissons Festival, à Reims. Dans ce haut lieu du bizarre, il y a cent candidats pour une future édition de l’« Anthologie de l’humour noir », cent figures attachantes et folles, souvent cabossées, toujours riantes sous la cape d’épouvante, prêtes à titiller les confins de l’existence.

Ici, sous ses airs patelins, l’un des maîtres de l’horreur à la française, Brice Tarvel alias François Sarkel, auteur par exemple d’un titre phare de la collection « Gore » éditée par Fleuve Noir dans les années 80, « La chair sous les ongles ». La dédicace m’a fait rire : « Pour Aymeric, ces quelques recettes de cuisine… » Breton avait raison, les rires profonds s’accommodent des pulsions de révolte.

Panache

J'aime tout ce qui fait vivre l'âge d'or de l'imaginaire français. Verne, Dumas, Leroux... Fantômas, Lupin, Musidora... Toute une constellation de fantômes, de mystères, de vaisseaux, d'aventures... Un monde entier d'amusement et d'intensité que la bd franco -belge a su renouveler et qui s'agite encore aujourd'hui, par exemple avec la nouvelle adaptation des "Trois Mousquetaires". Non, la France n'est pas le seul pays des valeurs et de l'amour. Elle est aussi celui du rêve et du panache ! Du moins, elle l'a été jusqu'à ce qu'une certaine morosité gagne à peu près tout.

Alors, toute tentative de résurrection, mieux, toute énergie créative dans cette veine-là me réjouit. C'est dire comme la publication de "La vie secrète de Sarah Bernhardt" m'enthousiasme. Un format de feuilleton pour une fiction rondement menée, précisément ancrée dans le coeur incandescent du merveilleux français. La jeune actrice aux prises avec des spectres, des nonnes vengeresses, des intrigues échevelées, joliment croquée par Gilles Verdiani et mise en image par le malicieux Franck Biancarelli, aux éditions Musidora. Longue vie à cette jeune héroïne de 150 ans !

Temps

Il y a dix ans, Mathieu Simonet m'avait suggéré l'idée suivante : proposer aux élèves du lycée dans lequel j'exerçais d'enterrer des messages dans une boîte, et de prévoir la redécouverte de cette boîte une décennie plus tard. J'avais trouvé l'idée belle. Mais lorsque j'avais eu le malheur d'en parler à mes collègues et à l'administration, on m'avait opposé de l'indifférence et même de la consternation.

Dix ans plus tard, à la date donc où le déterrement (?) aurait pu avoir lieu, j'ai le plaisir d'écouter Mathieu lire en musique des extraits de son dernier livre, "La fin des nuages", sur la scène de la Maison de la poésie. Je retrouve intactes sa délicatesse, sa précision, son originalité, et je me dis qu'il est peut-être temps que je relance le projet de ces boîtes, dans mes nouveaux établissements, d'autant que me taraude l'idée que les années défilent...

mercredi 20 décembre 2023

Délice

Il y a quelque chose d'émouvant à ce que le plus français des réalisateurs américains rende un hommage si appuyé à la France, dans ce qui sera peut-être son dernier film. Et je suis déçu que la critique assassine ce "Coup de chance" de Woody Allen. Les Inrocks vont jusqu'à trouver problématique que le film mette en scène un homme dangereux. Un comble, quand on sait qu'ils ont carrément fait leur couverture sur Bertrand Cantat à sa sortie de prison ! Le film est pourtant rythmé (la principale qualité de Woody), prenant, plus joli que le précédent et les acteurs y sont délicieux. Pourquoi bouder son plaisir ? Cette fin de carrière difficile me rend cet homme d'autant plus attachant.

Ecrire un essai

Les 14 et 15 octobre dernier, j'animais un atelier à l'Ecole des Mots, à Paris, sur le thème suivant: Ecrire un essai.

"Vous aimeriez faire valoir des idées, des expériences, un point de vue ? Vous avez des hypothèses à formuler, des émotions à faire passer, mais vous hésitez sur la forme à leur donner ? Mille solutions s’offrent à vous, mille formats de livres conjuguant pensée, récit et émotion, mille façons de trouver un équilibre et de définir un ton. Moi-même, je m’y suis essayé dans un certain nombre d’ouvrages et sur des thèmes parfois controversés – multiculturalisme, enseignement, etc. J’ai dû tâtonner pour trouver à chaque fois la bonne formule.

Dans cet atelier, vous vous familiarisez avec une certaine tradition française de l’essai littéraire, du petit livre d’opinion mêlée de témoignages et de réflexion tel que Sartre, Gide ou Césaire l’ont pratiqué.

Vous apprendrez à repérer l’architecture de quelques classiques du genre et leurs ressources stylistiques, tout en posant les bases de votre propre travail : identification de vos pensées, définition de votre style, de votre projet, de votre manière de procéder…" "L’essai est facile à lire, mais il est difficile à pratiquer. Venez vous y frotter, vous pourriez vous découvrir l’âme d’un bretteur !

Cet atelier est ouvert aux participants ayant déjà des idées, recherches et matière personnelle sur le sujet mais également à toutes celles et ceux qui souhaitent découvrir le genre de l'essai le temps d'un week-end !

N’hésitez d'ailleurs pas à solliciter l’auteur pour qu’il réponde à vos questions ou vous propose des exercices en amont de l’atelier au besoin.

Vous pouvez par ailleurs vous présenter à l’atelier avec des documents préparatoires, des choses déjà écrites... Il sera ravi de les examiner avec vous.

Marc et cornac

Le fait que « Guerre » de Céline soit un premier jet m’a gêné. Même dans les passages d’anthologie, on trouve des mots qu’il n’a jamais utilisés, des répétitions, des phrases incohérentes… Le livre est court, il pourrait constituer un chapitre de « Mort à crédit ». Mais il est curieusement structuré autour d’une péripétie particulièrement efficace, si bien ficelée qu’on croirait l’auteur cornaqué par son éditeur – une histoire de mac trahi par sa poule. De ce texte, je garderai en tête la prestation hallucinée de Benjamin Voisin au Festival d’Avignon, et les portraits de quelques vicieux croustillants.

"De mon oreille on ne parlait jamais, c'était comme l'atrocité allemande, des choses pas acceptables, pas solubles, douteuses, pas convenables en somme, qui mettaient en peine la conception de remédiabilité de toutes choses de ce monde. J'étais trop malade, j'étais pas assez instruit surtout à l'époque pour déterminer dessus de ma tête très bourdonneuse l'ignominie dans leur comportement à mes vieux et à tous les espoirs, mais je sentais ça sur moi à chaque geste, chaque fois que je vais mal, comme une pieuvre bien gluante et lourde comme la merde (...)" (page 107

Rutilant

Chez Piot-Sevillano, on trouve pas moins de quatre types de cuves : des cuves en acier émaillé, des œufs en béton, des foudres de chêne, des jarres en grès… Comme toujours avec le champagne, on le boit sans trop y penser mais il est un produit complexe, un vin authentique, élaboré par des vignerons à la fois travailleurs, techniciens, gourmets et esthètes !

mardi 19 décembre 2023

Grappes

Quelques coups de sécateur cette année en fin de vendanges. Récolte unique en termes de volume (et peut-être de qualité) grâce à un été chaud et pluvieux. Cependant des grappes pourrissent et il faut trier. C'est aussi ça, le champagne : mettre les mains non pas dans le cambouis mais dans les coulures, les rafles, les marcs, les raisins qui fermentent...

Animaux de cauchemar

Etienne Ruhaud se passionne pour le surréalisme, et son recueil « Animaux » (2020) me paraît surréaliste de bout en bout. Trente poèmes en prose décrivant avec la précision distanciée de Ponge des créatures imaginaires, souvent horrifiques, en tout cas étranges, affublées de noms dont on connaît le sens ou créés de toute pièce – Henri Michaux n’aurait pas renié ces hallucinations, ces mondes arbitraires. Saisir ses cauchemars avec rigueur, assumer ses fantasmes bizarres… André Breton, sort de ce corps !

« Les baignoires

Des bassins circulaires, au fond des abysses, et dont les bords sont constitués d’écailles mauves, grandes comme la main, dures comme le roc. Les baignoires sont emplies d’un liquide organique couleur rouille, pareil à de l’eau ferrugineuse. Attirés par l’odeur, poissons, coquillages et crustacés sont électrocutés, puis aspirés vers la bouche, trou noir et rond, au centre. L’estomac digère chair, arêtes, carapaces et coquilles. Les excréments sont ensuite rejetés au loin par le cloaque, et consommés par des crabes microscopiques. (…) »

lundi 11 décembre 2023

150 grammes d'amitié

Dans un petit livre de beau papier, sobrement intitulé « Sirletti », imprimé de huit reproductions de tableaux en couleurs, Fabrice Pataut rend hommage au peintre disparu Roland Sirletti, ou plutôt aux échos de son œuvre dans son propre imaginaire. J’aime ce genre de témoignage d’amitié dense, étiré dans le temps, cristallisé dans une sorte d’œuvre seconde et parallèle, d’autant que l’écriture en est mystérieuse et précise, proposant à la fois des éléments d’expérience personnelle et de réflexion sur le sens de l’art. Cent-cinquante grammes d’amitié sublimée !