La littérature sous caféine


lundi 8 janvier 2024

Villers-Cotterêts

Il paraît que l’Académie française a boudé l’inauguration de la très belle Cité internationale de la langue française, au prétexte qu’elle n’aurait pas été consultée… Les uns critiquent le projet pour son conservatisme, les autres pour son habillage politiquement correct – les cartons regorgent de « métissage », « langue-monde » et autres hybridations. Il est vrai que la question de la langue est plus politique qu’on ne l’imagine. Comment la dater ? Comment la faire évoluer sans la faire disparaître ? A l’arrivée, je suis heureux de découvrir une exposition de caractère et dans un sublime écrin d’architecture – je me représente mieux le Valois, cette région mythique pour la littérature, patrie d’Alexandre Dumas, lieu de rêve pour le tendre Nerval…

mardi 9 octobre 2012

Enrichir son vocabulaire



Adolescent, dans chacun de mes livres, il y avait une page volante sur laquelle j’inscrivais les mots dont je ne connaissais pas le sens. Puis je recopiais la définition du Robert. Je retrouve ces pages, vingt ans plus tard, et je constate que mon vocabulaire a certes évolué mais qu’il reste pauvre en matière de termes techniques (étoffes, outils, flore…).

Je reprends cette habitude, prenant soin de noter les définitions sur un fichier Word. Sans surprise, les auteurs qui m’en apprennent le plus en matière de vocabulaire sont les romanciers du 19ème, dans une moindre mesure ceux de la première partie du 20ème – et dans une moindre mesure encore les contemporains, du moins ceux qui cherchent, consciemment sans doute, à cultiver dans leur œuvre une certain richesse linguistique.

Parmi mes récentes découvertes, ces trois jolies expressions, dont je connaissais l’existence sans pouvoir vraiment les définir – ou dont le dictionnaire m’apprend des sens cachés :

Piler du poivre : quand on a des chaussures qui font mal et qu’on marche sur la pointe des pieds ; piétiner en attendant quelque chose, quelqu’un.

A croppeton : accroupi, sur les talons.

Tomber en quenouille : se disait d’une maison, d’une succession qui tombait entre les mains d’une femme ; d’un homme qui tombait sous la domination d’une femme. Mod : être laissé à l’abandon. (Quenouille : petit bâton garni en haut d’une matière textile, que les femmes filaient en la dévidant au moyen du fuseau ou du rouet).

vendredi 11 mars 2011

Les mots du dictionnaire, les mots des écrivains

Un article que j'ai rédigé pour la Nouvelle Revue Pédagogique (NRP), à l'occasion d'un hors-série "Ecrivains et enseignants" (mars 2011). Il y aura d'ailleurs une journée d'étude et de rencontre, le 2 avril prochain, à la Société des gens de lettres.

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Le mot du jour

Il y a plus de sept ans, j’ai commencé mon tout premier cours au lycée par un exercice qui me semblait aller de soi : inscrivant au tableau un mot dont je me doutais que la plupart des élèves ne le connaîtraient pas, je leur ai demandé d’essayer d’en deviner le sens. J’inaugurais de cette manière « Le mot du jour », une pratique à laquelle je n’ai toujours pas renoncé. La plupart des élèves ont raisonné par association sonores, provoquant des coïncidences judicieuses ou des effets comiques. Puis j’ai dicté la définition (version simplifiée du dictionnaire), complétée par des synonymes, des antonymes et des exemples.

Bien sûr, j’adapte à chaque fois le choix des mots à mon public : au collège ce sera par exemple « nostalgie », au lycée « obséquieux », à des élèves du supérieur « hypallage » » ou « ataraxie ». Les premières fois, il y a toujours un mouvement de refus. « Pourquoi vous faites ça ? / Ça sert à quoi ? / C’est qui ce prof ? / On n’est pas des gamins… » Certains mêmes refusent de jouer le jeu. Puis le rituel s’installe, et huit jours plus tard toute la classe a pris le pli. La plupart des élèves achètent même un petit carnet, voire un répertoire pour classer les mots par ordre alphabétique. L’exercice devient ludique et si beaucoup rechignent, à nouveau, lorsque je leur annonce qu’ils devront apprendre ces mots pour le prochain devoir, la plupart en prennent rapidement leur parti. La consigne est facile à retenir, l’apprentissage plutôt léger et le bénéfice évident – nul besoin d’expliquer à l’élève qu’un mot nouveau lui découvre comme un nouveau pan de la réalité.

Le rituel prend si bien qu’il m’arrive de penser qu’au fond les élèves ne retiennent vraiment de l’année que le principe de ces quelques minutes en début de séance. Et je trouve très frappant qu’au-delà de quelques récits qui parviennent à capter leur attention (des nouvelles de Maupassant, par exemple, une pièce de Molière, quelques vers de Baudelaire, les grands mythes…), ce soit ce travail élémentaire sur le mot qui structure en quelque sorte leur approche de la littérature. D’une certaine façon, chaque heure de classe rejoue comme une petite dramaturgie de la création d’une langue, et si les élèves se laissent prendre de temps en temps par la magie d’un récit, s’ils s’initient avec plus ou moins de bonheur aux techniques d’analyse de texte, ils n’oublient pas que ce même texte se construit à partir de ces petites concrétions de sens et de sons, prenant conscience que cet apprentissage ne cesse jamais et que c’est à partir de lui que tout le reste devient possible.

Précisons que je n’ai pas eu le même succès avec un exercice que je pensais pourtant complémentaire de cette pratique quotidienne. Très amusé par un petit livre au franc succès, Le Baleinier, recueil de termes inventés pour des choses de la vie qui n’avaient jamais trouvé leur place dans le dictionnaire (par exemple, Beccari signifie « accélération cardiaque lors d’un contrôle de police alors qu’on n’a rien à se reprocher » ; Cachtarque, « viande nerveuse sur assiette en carton »), j’ai fait découvrir aux élèves, au cours de séances en demi-groupes, quelques-uns de ces mots, avant de leur proposer un exercice : tout d’abord, ils devaient essayer d’inventer une définition pour des mots trouvés dans ce baleinier (que pouvait donc bien signifier par exemple vertiglier ou grunicelle ?) ; puis, faisant appel à toutes les ressources de leur imagination, je leur demandais de créer de toutes pièces quelques mots nouveaux, proposant à la fois une réalité de leur choix et quelques sons qui pourraient lui correspondre (mélange d’onomatopées, de mots composés et de pure gratuité sonore). J’étais persuadé que l’exercice amuserait, et même captiverait les élèves.

Il n’en a rien été. Passé l’intérêt poli des premiers instants, passé le quart d’heure d’efforts, passé même le moment, pourtant savoureux, où nous avons comparé les résultats de certains élèves, j’ai bien senti que l’enthousiasme n’avait pas été au rendez-vous. Les élèves ont assez vite oublié le principe de ce Baleinier. Comment comprendre ce manque d’adhésion ? J’avais pourtant cru déceler dans mes classes un goût pour les mots en général, leurs sonorités, la richesse de leurs sens…

Peut-être les mots du vrai dictionnaire les intéressent-ils précisément pour leur charge de réalité. Instinctivement, les élèves perçoivent le pouvoir que la maîtrise du vocabulaire leur confère sur leur environnement. Vaste continent encore inexploré… Dans ces conditions, jouer avec les mots, c’est un raffinement qui les dépasse un peu. Le plus urgent reste bien l’apprentissage des mots tels qu’ils existent déjà. Moi-même, j’ai d’ailleurs senti décliner très vite mon intérêt pour le Baleinier. Toute une vie ne me suffirait pas pour maîtriser le vocabulaire réel !

(...)[...]

mardi 26 octobre 2010

Les écrivains qui nous apprennent des mots



Adolescent, au cours de mes lectures, j’établissais la liste des mots que je ne connaissais pas, avant de noter soigneusement leur définition sur des feuilles volantes, glissées dans les volumes. Bien sûr, la pêche était particulièrement fructueuse chez Proust et chez la plupart des auteurs du dix-neuvième siècle. Il m’arrivait d’essayer d’apprendre ces listes. Quand je retombe sur elles, vingt ans plus tard, je me rends compte que je connais maintenant ces définitions. Mais les avoir apprises adolescent ne m’a sans doute pas aidé : ce sont mes retrouvailles avec ces mots, régulièrement, de livres en livres, qui m’ont familiarisé avec eux.

Ce goût pour les mots, considérés en tant que tels, a d’ailleurs influencé mes pratiques de professeur, puisque j’ai pris l’habitude de débuter chaque cours par ce que j’appelle « Le mot du jour » (un mot que j’annonce, puis dont je donne la définition, que les élèves consignent dans un carnet). C’est vraiment par ces sortes de petits noyaux langagiers qu’il me paraît judicieux d’essayer de donner goût à la littérature – démarche complémentaire de celle qui consiste à prendre l'écriture "par l'autre bout", celui du récit, celui du souffle romanesque, celui qui fait oublier les mots, précisément, au profit des images qu'ils suggèrent.

Je continue moi-même à apprendre de nouveaux mots, bien sûr, et mes découvertes sont naturellement plus nombreuses chez les auteurs de langue française (les traductions hésitant davantage à recourir à des archaïsmes ou des raretés ?). Lisant par exemple le dernier roman en date de Philippe Le Guillou, Le Bateau Brume (Gallimard, 2010), majestueuse plongée dans les destins croisés de jumeaux dont l’un, peintre rêveur et mélancolique, et l’autre, tourné vers la politique, vont vivre des moments de fusion fantasmatique, avant de se séparer puis de se retrouver, d’années en années (sur fond de Bretagne hantée par les mythes et par la religion chrétienne), je note le mot ondin, page 167 (génie des eaux dans la mythologie germanique) et le mot étier page 163 (chenal étroit). Plaisir non négligeable, qui compte désormais dans mon choix d'approfondir ou non la connaissance de certaines oeuvres...

jeudi 4 décembre 2008

Les mots qui ne viennent de nulle part / Enrichir le dictionnaire



Il y a des mots qui circulent dans ma famille, et jusqu'à une date récente je ne pouvais pas dire quelle était leur origine... Par exemple, le verbe "chourouper", qui signifie "faire du bruit quand on boit sa soupe". J'ai toujours pensé que c'était un mot courant, jusqu'à ce que des gens me demandent ce que ça voulait dire. J'ai cherché dans le dictionnaire, et je ne l'ai pas trouvé. J'ai fini par le dénicher sur le net, sur le forum de discussion d'un site consacré à la pêche au bar, et dans le cadre d'une discussion concernant la vie en pays catalan : "ne pas oublier de chourouper !", précise un internaute à propos des cargolades, ces repas proposant uniquement des escargots...

Je comprends mieux, maintenant : j'ai passé toutes mes vacances, enfant, dans le pays catalan, une partie de ma famille y étant installée depuis longtemps. Certaines expressions régionales sont entrées dans le vocabulaire de la famille, sans que nous en soyons forcément conscients.

Même chose pour l'adjectif "tatasse" : quelqu'un de tatasse, pour moi, c'était quelqu'un d'un peu tarte, d'un peu benêt.. Je me suis récemment dit que ce mot, qu'on utilisait couramment dans la famille, venait aussi du catalan. Mais en vérifiant sur le net, je constate d'une part qu'une définition plus précise pourrait être "tatillon", d'autre part que le mot provient du ch'ti... Je n'arrive pas à savoir comment le mot s'est infiltré dans nos discussions. Simple goût pour les sonorités d'un mot entendu par hasard ? Fréquentation de quelqu'un venant du Nord ? Origines communes de certains mots propres au ch'ti et au catalan ? Mot plus courant que je n'aurais pu le croire ?

En tout cas je suis surpris par la mine d'information que le net propose en la matière... En quelques clics j'ai pu répondre à des questions que je croyais sans réponse. La poésie de ces mots fantômes se dissipe quelque peu, mais je me mets à rêver, parfois, au travail accompli par les poètes de la Pléiade (j'étudie brièvement avec mes classes de seconde, en ce moment, quelques poèmes du 16ème siècle), ce groupe dont faisait partie Ronsard ou Du Bellay, et qui avait pour ambition d'enrichir le dictionnaire avec des néologismes, certes, mais en exhumant aussi tout un ensemble de mots populaires. Ce serait incroyable de pouvoir constituer la recension de tous les mots de français qui aient existé depuis, disons, mille ans ?...