La littérature sous caféine


lundi 2 avril 2007

Merde et profusion



Excellente mise au point sur la littérature contemporaine dans le Hors-Série de Technikart de Mars 2007 (même si leur liste des « 10 écrivains français de demain » me laisse plutôt perplexe). Interview croisée, stimulante, entre François Bégaudeau et Richard Millet, le premier affirmant par exemple :

« On vit dans une ère démocratique où l’on voit de plus en plus de livres. On a droit au meilleur et au pire, et on s’attarde toujours sur le pire. Peu de gens se réjouissent du fait que, finalement, il n’y a jamais eu autant de gens qui ont eu accès à l’écrit. On préfère se plaindre du revers de la médaille – dire que si tout le monde écrit, que la notion de valeur se perd, etc. Je n’attends pas des « grands écrivains » qui surgiraient comme des phares. A chacun de frayer sa trajectoire de lecteur, d’écrivain ou de journaliste dans ce labyrinthe de textes. Je suis très borgesien du coup, là-dessus : j’aime l’idée de se réjouir de cette profusion. »

Je partage l’optimisme de Bégaudeau quant à l’avenir de la chose écrite : je ne vois pas pourquoi le nombre de lecteurs, et d’auteurs, n’irait pas grandissant à l’échelle de la planète. En revanche j’attends, moi, que surgissent de la masse quelques « grands écrivains »… C’est pas mal, je trouve, les « grands écrivains »… Contrairement à ce qu’en dit une certaine école littéraire parisienne se moquant de ce qu’elle appelle « la figure du Grantécrivain ».

Pour le clin d’œil, petit extrait de l’interview de William H. Gass, l’auteur du fameux Tunnel (qui vient d'être traduit et que je dois d'ailleurs aller acheter), somme romanesque ayant nécessité trente ans d’écriture : « Chez Houellebecq la langue est inexistante, ça n’a aucun intérêt. Et ce n’est pas la pornographie qui m’a dérangé. Il y a les livres qui parlent de la merde et d’autres qui sont simplement de la merde. »

vendredi 30 mars 2007

Footing et romans de gare



Pour la première fois depuis quinze ans j’ai couru pendant 1 heure (3 tours du Parc des Buttes Chaumont à petites foulées, croisant toutes les vingt minutes les mêmes coureurs en sens inverse). Tout en me vidant la tête et le corps des tensions accumulées depuis des semaines, je réfléchissais aux vertus purgatives des romans « faciles » et je comparais l’efficacité de ma course à celle du livre de Douglas Kennedy, Les charmes discrets de la vie conjugale (Pocket, 2007). Je dévore en ce moment les 600 pages de ce best-seller mondial et je me régale de cette prose insipide, sans style, sans lourdeur non plus, parfaite pour vous happer et vous rendre plus serein.

Un moment l’auteur lance une pique à Thomas Pynchon : la narratrice tente de lire quelques pages et laisse très vite tomber. Difficile en effet d’imaginer deux littératures plus antagonistes que celles de Pynchon (dont le dernier roman fait sensation, semble-t-il, aux Etats-Unis en ce moment) et Douglas Kennedy. Mais je prends mon plaisir aux deux…

jeudi 29 mars 2007

Sondages et cerisiers



sleblanc.blog.20minutes.fr/)

Une mousse hier avec un ami professeur de littérature au Japon, Michaël Ferrier, auteur du beau Tokyo, Petits portraits de l’aube (Gallimard, L'Infini). Il me raconte qu’un scandale vient de marquer le Japon : le présentateur météo s’est trompé de deux jours dans sa prédiction de la floraison des cerisiers. Crime de lèse-majesté ! Pendant que les quotidiens japonais fêtent les fleurs en Une, nous avons droit à la Gare du Nord en feu. Pour me remonter le moral, je me précipite chez Gibert pour acheter trois romans japonais.

Cours à Sciences-Po : pas inintéressant de sonder les élèves sur les auteurs étudiés. Sur Houellebecq par exemple : 1/3 des élèves se disent rebutés, 1/3 plutôt séduits, 1/3 indifférents. Pour Sollers le résultat est plus surprenant : 19 élèves sur 20 restent dubitatifs, et le 20ième trouve le trublion bordelais absolument génial…

mercredi 28 mars 2007

Cancer cool

- Dites, Monsieur, c'est grave le cancer ?

lundi 26 mars 2007

Ressaisis-toi, Sigmund !



Je suis un inconditionnel de Freud. Tous genres confondus, c’est un de mes écrivains préférés – j’admire sa prose limpide, la variété de ses préoccupations, le petit air soucieux de son écriture... Même s’il affirme parfois des choses bien loin d’être évidentes, et si beaucoup de ses textes paraissent suspendus sur une vérité toujours plus profondément enfouie.

Je suis tombé récemment sur ses Nouvelles conférences sur la psychanalyse, et je me suis naturellement précipité sur le chapitre intitulé La Féminité. Je n’ai pas été déçu. Comment le maître peut-il se fourvoyer avec des affirmations si terriblement arbitraires – au détour de paragraphes pourtant lumineux ? C’en devient d’ailleurs assez comique. Jugez plutôt :

« Le bonheur conjugal reste mal assuré tant que la femme n’a pas réussi à faire de son époux son enfant, tant qu’elle ne se comporte pas maternellement envers lui. » (p 176)

« La femme, il faut bien l’avouer, ne possède pas à un haut degré le sens de la justice, ce qui doit tenir, sans doute, à la prédominance de l’envie dans son psychisme. » (p176)

« Un homme âgé de trente ans environ est un être jeune, inachevé, susceptible d’évoluer encore. Nous pouvons espérer qu’il saura amplement se servir des possibilités de développement que lui offrira l’analyse. Une femme du même âge, par contre, nous effraie par ce que nous trouvons chez elle de fixe, d’immuable ; sa libido ayant adopté des positions définitives semble désormais incapable d’en changer. » (p177)

« N’oubliez pas cependant que nous n’avons étudié la femme qu’en tant qu’être déterminé par sa fonction sexuelle. Le rôle de cette fonction est vraiment considérable, mais, individuellement, la femme peut être considérée comme une créature humaine. » (p178)

vendredi 16 mars 2007

Lundi cool

- Dis donc, ça fait longtemps qu’on t’a pas vu le lundi matin…

- Eh Monsieur, je croyais que c’était pas obligatoire, moi, le lundi matin !

jeudi 15 mars 2007

Les révélations tardives

Emmanuel Carrère fait un triomphe avec son dernier livre Un Roman Russe (POL, 2007), et je me plonge dans un de ses précédents succès, L’Adversaire (Folio), (Daniel Auteuil incarnant le personnage dans l'adaptation cinématographique), relatant ce terrible fait divers : Jean-Claude Romand vivait depuis quinze ans sur un mensonge – son entourage pensait qu’il était médecin à l’OMS – quand il a décidé de passer toute sa famille par les armes. Carrère s’intéresse à l'affaire avec pudeur, et double son récit des échos que l’affaire a rencontrés dans sa propre vie.

Réflexion sur le métier d’écrivain, réflexion sur la part fantomatique de nos destins. Rien à dire sur ce petit livre ciselé comme on les aime – d’ailleurs le jugement des élèves nous trompe rarement : mes classes semblent avoir tout de suite accroché à la lecture des quelques extraits que je leur proposais.

Citons pour exemple cette belle page sur l’horreur des révélations tardives :

« Le père avait été abattu dans le dos, la mère en pleine poitrine. Elle à coup sûr et peut-être tous les deux avaient su qu’ils mouraient par la main de leur fils, en sorte qu’au même instant ils avaient vu leur mort (…) et l’anéantissement de tout ce qui avait donné sens, joie et dignité à leur vie. (…) Pour les croyants, l’instant de la mort est celui où on voit Dieu, non plus dans un miroir obscurément mais face à face. (…) Et cette vision qui aurait dû avoir pour les vieux Romand la plénitude des choses accomplies avait été le triomphe du mensonge et du mal. Ils auraient dû voir Dieu et à sa place ils avaient vu, prenant les traits de leur fils bien-aimé, celui que la Bible appelle le satan, c’est-à-dire l’Adversaire. » (p27)

jeudi 8 mars 2007

La vie sexuelle d'un homme laid



Je finis de lire le très beau livre de Richard Millet, Le goût des femmes laides (Folio, 2007): phrase ample, goût du mot juste, souci du souffle narratif pour ces confessions d’un homme au visage déplaisant, marquées par ce qu’on pourrait appeler l’éthique du romancier – celle consistant à ne jamais écrire de page qui ne soit à la fois sensible et belle (très peu de romanciers s’interdisent en effet le remplissage).

Exemple, avec la somptueuse ouverture du roman :

« Comme la plupart des hommes, j’ai raté ma vie sexuelle.
De cet interminable naufrage, je crois pourtant m’être moins mal tiré que d’autres. Je n’ai ni vice ni manie à révéler, ni même d’irrépressibles penchants à la sincérité qui me feraient avouer à une femme de quarante ans que je n’aime que les très jeunes filles, à une femme aux seins menus que je ne peux étreindre que celle qui en ont d’opulents, ou à une jolie personne que la beauté me fait peur. Rares d’ailleurs les femmes qu’on puisse dire belles, presque toutes étant en quelque sorte des laiderons qui s’ignorent, avant de tenter d’apporter en aimant la preuve du contraire ; plus rares les hommes qui aiment vraiment les femmes ; et quasi impossibles en fin de compte l’amour, le bonheur, le pur feu du désir. C’est d’ailleurs l’impossible qui gouverne les rapports amoureux. Quant à ce qu’on appelle la vie sexuelle, ce n’est qu’une commodité de langage : rien d’autre, en fin de compte, que l’ombre portée sur autrui de nos songes d’enfants mélancoliques ou de chasseurs de la préhistoire
. »