La littérature sous caféine


mardi 24 août 2010

L'Histoire de France vue du Japon (Michaël Ferrier, Sympathie pour le fantôme)



Rentrée littéraire 2010 (2)

Voici l'article que je publie dans le prochain numéro de la Revue Littéraire à propos de la sortie du nouveau livre de Michaël Ferrier, Sympathie pour le fantôme, aux éditions Gallimard (collection L'Infini) :

"Dans Tokyo, petits portraits de l’aube (Gallimard, L’Infini, 2004), Michaël Ferrier s’appliquait à évoquer la mégapole japonaise dans une prose fluide et légère. Le narrateur y décrivait des lieux, des personnages et des situations sans fil narratif précis, ni trame psychologique appuyée, attentif à capter de Tokyo comme une musique de fond, un rythme intelligent.

Dans Sympathie pour le fantôme, il reprend le dispositif et lui donne de l’ampleur. Virées nocturnes, projets littéraires, séminaires ubuesques… Le narrateur évolue dans un Tokyo rapide, lumineux, sensuel, résolument moderne, résolument mouvant. Il en profite pour réfléchir à quelques figures historiques et culturelles françaises qui, malgré leur statut marginal, ou bien grâce à lui, représentent mieux que d’autres un certain peuple français : « Ce sont eux qu’on a enlevés de l’Histoire ou qu’on n’y a pas laissés entrer. Ce sont les oubliés du destin, les morts pour rien. (…) Ce sont des gens comme toi et moi, et en même temps de grandes figures de la rébellion : à eux trois, et chacun dans des domaines différents (le marché de l’art, la littérature, l’économie), ils ont fait entrer la France dans la modernité… » (page 80) On suit par exemple le destin d’Edmond Albius, jeune esclave noir du 19ème siècle qui par son sens inouï de l’observation découvre le principe de la fécondation artificielle de la vanille. Rien ne le prédestinait à briller, tout lui promettait l’anonymat et la réclusion. Et le voilà pendant quelques années déployant son génie dans les jardins des plus grandes familles, sous l’œil admiratif et jaloux des autres botanistes – ce qui le tirera pas de la misère, loin s’en faut.

Michaël Ferrier se livre par ailleurs à une vive satire du monde universitaire, ridiculisé par ses discussions épiques et sa frénésie de réunions. Il y a des pointes céliniennes dans ces descriptions de vieux professeurs et de vains débats. « Mameda est toujours à côté de Nezumi comme un chien fidèle. Tout ce que Nezumi dit, il le répète. Mentalité : mollusque. Il opine désespérément du chef, il branlotte sans fin du collet, en attendant son tour. » (page 131)

Pas étonnant que le narrateur se livre, dans le dernier chapitre, à un éloge de Thelonious Monk : « Ah, Monk… Faire par l’écriture ce qu’il arrive à faire en musique… Il bouscule tout, la mélodie, le rythme. Perturbation radicale… Il ferme les yeux, respire et plonge, transperce, sillonne, déraille puis revient… » (page 257) Il y a du jazz, en effet, dans l’écriture de Michaël Ferrier. Digressions fantaisistes, mots rapides, notes enjouées… Goût pour le jazz que partage d’ailleurs Philippe Sollers, dont on sent l’influence ici par certains thèmes de prédilection (celui du Temps, grande affaire littéraire, le Temps dans lequel plonger pour en faire ses délices…), mais aussi par ce ton brillant et primesautier, discrètement satirique, truffée de dialogues incisifs et faussement nonchalants, très ironiques vis-à-vis de l’époque actuelle, accusée de se laisser dominer par un sentiment d’urgence vide, un terrible esprit de sérieux, l’oubli de la vie, la vraie, c’est-à-dire l’attention aux corps, à la musique…

Michaël Ferrier fait l’éloge de quelques fantômes qui ont marqué l’Histoire de France, et la font encore, mais il n’est pas un fantôme, lui, constamment en alerte, la plume vive et le sourire aux lèvres, mi-moqueur mi-jouisseur."

dimanche 22 août 2010

Nouvelles du front (Sortie de Suicide Girls)

Rentrée littéraire 2010 (1)

On entend souvent que la littérature française est moribonde, mais chaque rentrée littéraire me donne l'impression inverse, et même le sentiment d'une inquiétante prolifération – comment tout lire (près de 500 nouveaux romans français cette année !), comment lire même une bonne partie de ce que l’on désigne comme de la littérature valable, et poursuivre en même temps sa fréquentation des classiques ? (Je me suis promis par exemple cette année de lire enfin Moby Dick, de me plonger dans Thoreau, de poursuivre ma lecture des Rougon-Macquart ainsi que l’œuvre de Philip Roth).

A propos de sélection des livres à lire, quelques bonnes nouvelles (modestes encore) sur le front des articles à propos des Suicide Girls, sorti le 18 août dernier : une dépêche AFP qui cite brièvement le roman, dépêche reprise et remodelée dans Libération (lire ICI) ; Le Monde des Livres du jeudi 19 août le cite également dans une recension de quelques romans classés par thèmes (lire ICI) ; le site Rue89, dans un article signé par Hubert Artus, Abécédaire de la rentrée littéraire, y fait également référence.

On peut lire par exemple dans Libération :

" (...) La mort rôde aussi, avec une prédilection pour le suicide. C’est le thème du huitième livre très attendu d’ Olivier Adam, Le coeur régulier (Editions de l’Olivier). Sarah, soeur cadette de Nathan qui s’est jeté du haut d’une falaise au Japon, effectue un pélerinage lugubre dans des paysages de bambous et de cèdres pour tenter de comprendre son geste. Alexandre Lacroix revient dans L’orfelin (Flammarion) sur la découverte, alors qu’il était enfant, de son père pendu à une poutre. Dans Suicide Girls (Léo Scheer), Aymeric Patricot retrace le parcours d’un jeune prof fasciné par le suicide. Le Seuil publie également Burqa de chair, roman posthume de Nelly Arcand qui s’est suicidée l’an dernier. (..)"

Brrrr...

Je me permets de reproduire également ici le mail d’un « ami facebook » racontant une anecdote sympathique à propos du livre :

" J'ai vu une personne dans la rue qui lisait votre roman, dans le marais. Je lui ai donc demandé de m'en parler.

Elle m'a dit qu'elle trouvait que le roman se lisait bien, qu'il était prenant, qu'elle le finirait probablement assez vite, et enfin qu'elle aimait particulièrement la description de la psychologie des personnages (extrait à l'appui).

C'était une libraire, qui avait lu un encart, m'a-t-elle dit, dans Libération, ou Télérama, elle ne se souvenait plus.

Détail amusant, elle m'a demandé ensuite si j'étais l'auteur. J'ai dû lui dire que non, mais je dois avouer que la tentation m'est venu de répondre oui ! Pour connaître, sans doute, la joie narcissique d'être pris pour un type talentueux...

Elle m'a dit de vous transmettre ce message..."

mercredi 18 août 2010

Dérapage ethnico-centré d'un génie (Steinbeck et les Indiens d'Amérique)


A l'est d'Eden - Trailer
envoyé par enricogay. - Court métrage, documentaire et bande annonce.

John Steinbeck, le génial auteur américain des Raisins de la Colère ou Des souris et des hommes, Prix Nobel de Littérature, est peu soupçonnable a priori de racisme, d'occidentalo-centrisme ou même de condescendance pour la victime, le faible ou l'opprimé (ses Raisons de la colère passent pour l'une des plus vibrantes dénonciations de l'injustice économique).

Il y a pourtant dans le chapitre inaugural de sa merveilleuse somme romanesque A l'Est d'Eden (l'histoire épique de deux familles de paysans californiens, rejouant à leur manière le mythe d'Abel et de Cain) un paragraphe pour le moins surprenant. Traçant à grands traits l'histoire de la Californie sur plus d'un siècle, l'auteur évoque en des termes peu amènes le peuple indien :

"Telle était la longue vallée de la rivière Salinas. Son histoire était celle de tout le pays. Il y avait d'abord eu des Indiens, mais d'une race dégénérée, sans énergie, incapables d'inventer ou de cultiver, se nourrissant de pucerons, de sauterelles et de coquillages, trop paresseux pour chasser ou pêcher, mangeant ce qui se présentait, ne cultivant pas et broyant des glands en guise de farine. Leurs guerres mêmes n'étaient que pitoyables pantomimes." (A l'Est d'Edan, Livre de Poche, page 10)

Quelle surprise que ce paragraphe dans un roman pourtant habité par la compassion, le sentiment de fatalité tragique, l'effroi devant la méchanceté ! (L'un des personnages principaux, Adam, est d'une douceur confinant à la naïveté). Nous avons vraiment changé d'époque ! L'auteur se donne-t-il ici l'excuse de se retrancher derrière la voix du narrateur ? Celui-ci me semble largement inspiré de l'auteur lui-même... Même le plus sinistre des "droitistes extrêmes" ne se permettrait sans doute pas ce genre de développement "ethnico-méprisant" aujourd'hui, ou bien serait conscient de son caractère inconvenant. Je n'ai pourtant rien trouvé d'équivalent dans les centaines d'autres pages de Steinbeck qu'il m'ait été donné de lire...

lundi 16 août 2010

Un parc naturel tous les cent mètres



(Photo: bord de lac dans les environs de Malacoota)

Quelques remarques, en vrac, à propos des quinze jours que je viens de passer en Australie (côte Sud-Est):

- Je n’ai jamais vu de pays à la nature à la fois si domptée et si généreuse – le réseau routier est parfaitement tenu, et c’est en même temps une débauche continuelle de forêts, de plages, de campagnes quasiment vierges, où jamais vous ne croisez de touristes (mais c’était l’hiver, là-bas) et où les animaux sont omniprésents (perroquets, kangourous, dauphins…).

- Les gens sont d’une gentillesse confondante, d’une chaleur humaine surprenante – et le retour à Paris est cruel : pas un regard, pas un bonjour chez la plupart des commerçants, alors qu’en Australie vous êtes systématiquement accueillis par un sonore : « Hello, how are you ? » (un « hello » dont le « o », nasillard et fermé, se prolonge étonnamment)

- Le pays se présente souvent comme l’un des plus multiculturels au monde, mais je n’ai pas trouvé cela très frappant dans les grandes villes. Les Aborigènes, qui constituent 2 % de la population globale, ne sont presque pas visibles dans la rue. Ce sont de loin les Asiatiques les plus présents, après les populations de type européen (faut-il les appeler « les Blancs » ?), et ils forment à vue de nez près de cinquante pour cent de la population du centre-ville de Melbourne. Mais à Sydney, le métissage n’est vraiment pas celui de Paris ou même des villes d’un pays qui évoque à tant d’égard l’Australie par son histoire et ses enjeux politiques, les Etats-Unis. Pas un seul Noir, à peine quelques Indiens, et encore une fois ce sont les Australiens d’origine asiatique (surtout chinoise) qui constituent la seule vraie communauté visible dans la ville. Existe-t-il le même type de quartiers de relégation qu’en France, dans les environs de Sydney ? Je suppose, mais je ne les ai pas aperçus (il n’y a rien qui ressemble de près ou de loin à ces grands ensembles dont la France est si friande). La question de l’immigration semble malgré tout très présente sur la scène politique, il n’y a pas un jour sans que le journal télévisé n’évoque la question des bateaux de réfugiés.

- Le sentiment persistant qui a été le mien pendant ces quinze jours, c’est que la qualité de vie des Australiens me paraissait très nettement supérieure à celle des Français (du moins dans les grandes villes). Sydney, notamment, m’a fait l’impression d’une grande ville américaine en plus belle, en plus douce et en plus accueillante.

mardi 27 juillet 2010

Faire l'amour : travail ou farniente ? (Guyotat / Trinh Thi)



Une page m’a particulièrement frappé dans le livre Explications, de Pierre Guyotat :

« Le texte que j’ai fait pour le spectacle chorégraphique de 1997, (…), je l’ai vraiment écrit, je l’ai prononcé certains soirs avec une très grande violence, dans un mouvement de révolte contre la sexualité, quelle qu’elle soit, contre la fatalité sexuelle. Cette obligation à la sexualité qu’il y a en l’homme, c’est une des tâches les plus terribles de l’homme, à mon avis, contrairement à tout ce qu’on dit, bien entendu. C’est une hantise, une obsession. (…) Dans Progénitures, le peuple apparaît comme soumis à cette obligation-là. On y voit des figures contraintes, obligées de forniquer comme on bêche, dans ces bordels-là ; après, on entre et on refornique dans le foyer. C’est sans cesse qu’on travaille… il y faut beaucoup de semence, vaine dans le ou la putain, utile dans l’épouse. » (page 42)

Je n’avais jamais vraiment réfléchi à cette vision possible de la sexualité comme labeur, comme malédiction – sauf bien sûr dans le cas du viol ou de la prostitution. Cela m’a laissé d’autant plus songeur que je venais de terminer ma lecture du livre imposant de Coralie Trinh Thi (l’actrice porno française qui a participé à l’adaptation cinématographique de Baise-Moi, de Virginie Despentes), La Voie Humide, vaste autobiographie (l’auteur est pourtant jeune) dans laquelle elle raconte sa carrière dans le X, ses amours, ses douleurs… Je ne m’attendais pas à ce niveau d’exigence littéraire. Plus de sept cents pages assez denses, parfaitement fluides, jamais naïves, ne donnant jamais dans le pathétique ou le sordide – et pour cause, Coralie Trinh Thi défend l’idée d’une sexualité épanouie possible dans la pornographie, et sa compatibilité avec une vie personnelle riche, excessive, sincère, ainsi qu’avec une réelle ambition artistique dont ce livre est le témoignage (l’auteur a-t-elle eu recours à un nègre ? Je ne pense pas, vue l’ampleur du projet…)

La qualité du livre tient à la succession, comme on s’y attend, de scènes savoureuses sur le milieu de la pornographie, mais aussi de longues et belles pages sur la profondeur de la sensualité, la recherche du bonheur, l’attachement amoureux… Ce livre n’a pas à rougir, je trouve, de la comparaison avec l’œuvre d’une des grandes prêtresses des journaux érotiques, Anaïs Nin, que j’évoquerai bientôt.

Extrait (à propos du tournage de Baise Moi) :

« La pression morale devenait insoutenable. La réprobation muette de tous les membres de l’équipe, avant chaque scène hard, augmentait en même temps que leur attachement à Karen et Raf. Elles leur avaient dit qu’elles étaient sorties de l’enfer du porno, qu’elles ne voulaient plus en faire, sauf pour Baise-moi… Mon malaise se précisait. Elles ne nous avaient jamais dit explicitement que le hard leur coûtait tant, qu’elles détestaient le faire, qu’elles trouvaient cela mal, et pourtant… Elles faisaient le film en dépit du hard, un sacrifice, un dommage collatéral, alors que c’était un de ses centres. Nous n’avions jamais envisagé de corrompre l’innocence, de manipuler ou de faire pression, d’arracher quoi que ce soit, comme certains réalisateurs s’en croient le droit. Ce film était possible avec elles, ces filles parfaites qui étaient aussi hardeuses. Mais travailler avec des professionnelles aguerries ne suffisait pas à garantir un rapport sain à la sexualité. On ne pouvait échapper à la culpabilité. » (page 512)

N.b. : je pars deux semaines en Australie… Reprise du blog mi-août !

jeudi 22 juillet 2010

Le professeur passe le bac

1) Deux anglaises, dans un café de Beaubourg : « Never trust french guys ! They can look so much younger than they are ! - So true... »

2) Dialogue entendu sur le parvis de Beaubourg: « Salut, c’était sympa de te rencontrer… – Tu t’appelles comment ? – Oasis. – Ouais, c’est ça, et moi c’est Coca-Cola. – Non, je te jure, je m’appelle Oasis. – Arrête de te foutre de ma gueule. C’est comment ? – Oasis. – Putain, va te faire foutre. – Salope, va ! – Bâtard ! »

3) Pour la première fois de ma carrière, j’ai rêvé que j’étais un élève. Je passais l’oral du bac français, je n’avais rien révisé. Je me suis curieusement retrouvé devant la reproduction d’une image (Scène du Moyen Age ? Scène inca ?) à propos de laquelle je n’avais strictement rien à dire. J’ai essayé d’improviser un exposé, qui s’est avéré lamentable. J’ai parfaitement compris que le professeur, dont je ne voyais pas le visage, me mette une note à l’avenant…

samedi 17 juillet 2010

Les artistes qui mettent en scène leurs faiblesses (Harvey Pekar, American Splendor)



J’apprends la mort de Harvey Pekar, l’auteur de la merveilleuse bandes-dessinées American Splendor (adaptée récemment au cinéma), que j’ai découverte cette année. Il en était le scénariste, racontant sa vie par courts épisodes qu’il faisait mettre en images par plusieurs dessinateurs, parmi lesquels le fameux Crumb, devenu par la suite une véritable icône de l’underground, flirtant constamment avec la vulgarité, les fantasmes sexuels et le portrait, souvent cruel, et souvent politiquement incorrect, d’ailleurs, de l’Amérique.

Ce qui m’a frappé dans cette bande-dessinée, et ce qui m’a plu, c’est que l’auteur ose se mettre en scène comme un dépressif chronique, assailli par les angoisses les plus diverses, éprouvant les pires difficultés dans sa vie professionnelle et sa vie sentimentale. Œuvre glauque ? Non, sincère, et le succès foudroyant qu’elle a rencontré ne m’étonne pas. Mécaniquement, on se sent beaucoup plus proche, en fin de compte, d’une personne avouant ses faiblesses. Et c’est bien la première fois que je lis, du moins de cette qualité, une bande-dessinée dont la force, la maturité, la gravité même des enjeux reste comparable à celles de grandes œuvres littéraires.

jeudi 15 juillet 2010

Les obsessions des écrivains (Mathieu Simonet, Les Carnets Blancs)

Dans ses Carnets Blancs (Seuil, 2010), Mathieu Simonet raconte une expérience singulière : il a entrepris de disperser ses journaux intimes auprès de gens qui pourraient en faire ce que bon leur semblerait – les détruire, les manger, les peindre… C’était une manière de s’en débarrasser, de se couper de son passé, de s’en libérer, mais aussi de rendre ces carnets à une vie autre. Le corps du texte consiste en notes, en extraits de lettres et de mails dans lequel Mathieu Simonet rend compte, de près ou de loin, de cette expérience.

Dans l’avant-propos il essaye de définir le fantasme présidant à l’écriture de ce livre :

« Des histoires de coïncidences surgissaient au milieu de ces initiatives. Certains participants me dévoilaient leur rapport à leurs journaux intimes. D’autres interprétaient mon geste, me parlaient de ma mère, malade d’un cancer, avec laquelle j’apprenais, en parallèle de ce projet, à imaginer l’après. On me parlait de mon père, de ses problèmes psychiatriques, de l’éclatement de sa personnalité et de l’éclatement de mes carnets.

Je ne sais pas s’ils ont raison.

Quatre ans plus tard, à l’heure où j’écris cet avant-propos avec un certain recul, un recul qui reste très fragile, presque à vif, je crois que ce geste « s’explique » par mon fantasme de construire sur l’éclatement. Sur mon désir de réunir les opposés, les objets cassés, les photos déchirées
. » (page 13)

Nul doute qu’à l’origine de tout geste artistique il y ait ce genre de fantasme, dont on découvre progressivement la teneur à mesure que s’accomplit l’œuvre. La lecture de ce livre m’a fait demander quelle pouvait être ma propre obsession… Si chaque livre répond à un fantasme particulier, il devrait être possible également d’identifier une ou plusieurs images hallucinées présidant au fait même d’écrire pendant toute une vie. Dans mon propre cas, s’agirait-il non pas comme Mathieu Simonet de « construire sur la dispersion », mais de prendre le mal par la racine ? D’éclaircir l’ombre ? De tirer vers la lumière tout ce qui dans l’existence vous attire vers les abîmes ? J’ai tendance à écrire des livres sombres, c’est vrai, mais avec le fantasme qu’on puisse trouver un sens lumineux aux pires angoisses.

Une autre de mes tendances seraient de fantasmer la notion d’effacement. Je suis d’ailleurs en train d’y réfléchir dans un long texte dont j’aurai sans doute fini l’écriture cet été…