La littérature sous caféine


mardi 14 novembre 2023

Kerouac, aller simple pour le vide

Curieux livre de fin de carrière, « Satori à Paris » (1966), où Kerouac paraît lassé de tout, nonchalant à l’excès, ivre dans la vie comme à la plume. Plein de verve et d’amertume, il raconte sa virée bretonne sur les pas d’un ancêtre mythique. Il n’a l’air de s’intéresser qu’à moitié à son enquête, ne trouve pas grand-chose, annonce un satori (révélation zen) qui ne vient jamais, repart de France avec des mots d’insulte à la bouche. Livre raté ? Témoignage virevoltant d’une sorte d’échec existentiel assumé ? Le personnage m’est sympathique jusque dans sa déchéance. Sa quête n’a pas abouti mais au moins en a-t-il engagé une.

« Il ne comprenait pas cela, que je boive tout de suite, sans rien manger, parce qu’il partage le secret des charmants dineurs français, - ils se précipitent dès le début sur les hors-d’œuvre et le pain, puis se plongent dans les entrées (et presque toujours sans boire la moindre gorgée de vin) et puis ils ralentissent l’allure, ils commencent à flâner, d’abord le vin pour se rincer la bouche, et puis la conversation, et enfin la seconde partie du repas, le vin, le dessert, le café ; moi, j’en suis incapable. »

lundi 18 septembre 2023

La plus vieille belle gueule

Je soupçonne Beckett de devoir une partie de son succès à sa belle gueule, à vrai dire la plus belle vieille gueule de la littérature... Le piquant dans cette affaire, c'est que ce physique hollywoodien cache un hallucinant désespoir glacé.

lundi 6 mars 2023

La véritable impuissance des hommes

Le succès foudroyant de la belle réédition chez Monsieur Toussaint Louverture l’année dernière de Blackwater (1983), le classique de Michael McDowell, m’a donné envie de le lire, et j’ai découvert une pépite fantastique, facile à lire mais à l’écriture élégante, flirtant avec l’horreur – une histoire de femme mystérieuse apparaissant après un déluge. Tout y est finement dessiné, sans délayage, donnant à rêver qu’il puisse exister un jour un Stephen King à la française.

J’y ai découvert aussi un texte étonnamment marqué par l’obsession de l’impuissance des hommes, dans le sens où leurs faux privilèges cacheraient une faiblesse par rapport aux femmes, plus intelligentes et manipulatrices. Sans doute l’auteur, homosexuel mort du Sida, par ailleurs scénariste de Beetlejuice, y a-t-il investi sa vision très personnelle des rapports hommes-femmes. Je serais curieux de savoir ce qu’il aurait à dire sur la notion si prisée aujourd’hui de patriarcat… 😊

« Voilà la plus grande méprise au sujet des hommes : parce qu’ils s’occupent d’argent, parce qu’ils peuvent embaucher quelqu’un et le licencier ensuite, parce qu’eux seuls remplissent des assemblées et sont élus au Congrès, tout le monde croit qu’ils ont du pouvoir. Or, les embauches et les licenciements, les achats de terres et les contrats de coupes, le processus complexe pour faire adopter un amendement constitutionnel – tout ça n’est qu’un écran de fumée. Ce n’est qu’un voile pour masquer la véritable impuissance des hommes dans l’existence. Ils contrôlent les lois mais, à bien y réfléchir, ils sont incapables de se contrôler eux-mêmes. (…) Parce qu’ils se complaisent dans leur pouvoir immense mais superficiel, les hommes n’ont jamais tenté de se connaître, contrairement aux femmes qui, du fait de l’adversité et de l’asservissement apparent, ont été forcées de comprendre le fonctionnement de leur cerveau et de leurs émotions. »

lundi 20 février 2023

Les Français, ces brutes



Le film « La couleur du ciel » (2019), librement inspiré de Lovecraft, s’ouvre par une scène où Nicolas Cage propose du cassoulet à ses enfants, ce qui leur arrache des cris d’horreur. « Un plat traditionnel français. – Une nourriture de ploucs ! » (Peasant, en VO).

Je ne pense pas que ce clin d’œil à la France soit incongru. Il y a en effet chez Lovecraft des références régulières aux quartiers français, par exemple dans « L’appel de Cthulhu ». On a vraiment l’impression que pour Lovecraft les Français représentent le chaînon manquant entre sauvages et civilisés. Je ne sais pas dans quelle mesure cela vient d’une expérience personnelle ou bien d’un cliché bien ancré dans la psyché américaine.

« Le 1er novembre 1907, la police de la Nouvelle-Orléans avait reçu un appel désespéré provenant de la région marécageuse au sud de la ville. Les squatters qui la peuplaient descendants des hommes de Lafitte, individus primitifs mais d’un bon naturel, se trouvaient en proie à une terreur panique, car une puissance inconnue s’était glissée parmi eux au cours de la nuit. Ce devait être le vaudou, affirmaient-ils, et un vaudou particulièrement terrible. »

mardi 6 décembre 2022

Trop de faits chez Kerouac ?

Dans « La Grande Librairie », Alice Zeniter reproche de manière assez drôle à Kerouac d’égrener les faits sans leur donner de corps. « Dean Moriarty m’ennuie, c’est un beauf, c’est un des types les plus sexistes que je connaisse, c’est un personnage qui n’a aucune profondeur… »

Pour ma part, je suis toujours ému par la lecture de Kerouac. Je vois cet homme s’agiter pour trouver un sens à sa vie, sans vraiment y parvenir – sauf par le biais de visions d’inspiration bouddhiste ou chrétienne, souvent désespérées. Le livre qu’il consacre à son frère simple d’esprit, mort prématurément, « Visions de Gérard », relève de la prière. On comprend tout ce que sa quête de joie doit à la stupeur devant un ciel trop vide. Ce sont des faits d’autant plus émouvants qu’ils sont précisément des faits purs, des faits accablants.

« La seule raison pour laquelle j’aie jamais écrit, j’ai repris mon souffle pour mordre en vain avec le style, ce grand aiguillon au crayon utilisable et indéfendable, c’est Gérard, c’est l’idéalisme, c’est Gérard, le héros religieux – « Ecrivez en honneur de sa mort » comme on dirait écrivez pour l’amour de Dieu) – car, par sa souffrance, les oiseaux furent sauvés, et aussi les chats et les souris, et cette famille, cette pauvre famille qui pleure, et ma mère qui a perdu toutes ses dents au cours des six terribles semaines qui ont précédé la mort de Gérard. » (Folio, page 166)

lundi 23 mai 2022

La gauche américaine : Dieu, famille, patrie !



Je lis d’une traite le beau livre où Springsteen et Obama discutent de leurs carrières respectives. Je serai toujours surpris par l’optimisme foncier des Américains, du moins celui qu’ils affichent si souvent dans leurs discours et dans les œuvres. Mais aussi par les valeurs qui structurent la gauche américaine, des valeurs qu’on a tendance désormais à classer, de ce côté-ci de l’Atlantique, à l’extrême-droite : l’amour du pays, la foi en Dieu, la dévotion vis-à-vis de la famille. Et puis, il y a cette joie presque naïve qui me paraît avoir tout à fait déserté la scène politique française… Le spectacle en est revigorant, et sans doute un peu triste pour notre pays.

« Ce que j’ai appris dans l’Iowa n’a fait que conforter ce en quoi j’avais cru depuis le début : à savoir que, en dépit de toutes nos différences, il y avait des traits communs chez les Américains, que les parents de Michelle, dans le South Side de Chicago, envisageaient les choses de manière très similaire à un couple de l’Iowa. Les deux couples croyaient au dur labeur. Tous deux croyaient aux sacrifices consentis pour les enfants. Pour les deux, il était important de tenir parole. Ils croyaient en la responsabilité individuelle, et que nous devons accomplir certaines choses les uns pour les autres, par exemple s’assurer que tous les enfants bénéficient d’un bon enseignement, ou que les seniors ne sombrent pas dans la pauvreté. Qu’en cas de maladie, vous ne vous retrouviez pas livré à vous-même. Et la fierté d’avoir un boulot. Tu vois ces valeurs communes et tu te dis : si j’arrive juste à convaincre les gens des villes et les gens de la campagne, les Blancs, les Noirs et les Hispaniques – si j’arrive à faire en sorte qu’ils s’entendent, ils se verront et se reconnaîtront les uns dans les autres, et, à partir de là, nous aurons une base pour véritablement faire avancer le pays. »

mardi 15 mars 2022

Poutine, homme d'initiative ou pantin ?

La lecture de « Guerre et Paix » m’a accompagné tout au long de l’année 2021. Forcément, avec la guerre en Ukraine, elle prend un écho particulier. Inlassablement, Tolstoï s’y moque de Napoléon qui se croit un grand homme et que les historiens s’évertuent à dépeindre comme tel. Il n'est pourtant que le jouet de forces qui le dépassent – Tolstoï évitant d’ailleurs de nommer précisément ces forces et de proposer une théorie sur ce qui anime exactement l’Europe et la Russie.

Qu’aurait-il pensé de Poutine, maintenant que le pays agressé devient l’agresseur ? Aurait-il une nouvelle fois considéré l’homme fort du moment comme un pantin ? Se serait-il au contraire inquiété de ce qu’un despote puisse impunément faire basculer l’Histoire ? Curieux comme on aimerait entendre la voix d’un écrivain disparu voilà plus d’un siècle…

jeudi 29 juillet 2021

Soulagé d'être déçu par "La servante écarlate"

Ça n’est pas désagréable d’être déçu par une lecture : ça nous évite d’avoir à compléter notre connaissance de l’œuvre. En l’occurrence, « La servante écarlate » m’a laissé complètement indifférent… L’écriture est pauvre, la traduction maladroite, l’univers assez mince. On sent trop la présence tutélaire d’autres dystopies comme « 1984 » pour se laisser impressionner. Je comprends qu’une certaine esthétique féministe ait pu cristalliser autour de cette fiction, mais je n’y ai précisément vu que cette opportunité politique, et ça m’a gâché le plaisir.