La littérature sous caféine


jeudi 21 octobre 2010

Interview par Pierre-Louis Basse sur Europe 1 (4/10/2010)


Aymeric Patricot sur Europe 1, "Suicide Girls" (4/10/2010)
envoyé par monsieurping2. - Futurs lauréats du Sundance.

lundi 18 octobre 2010

Les réalités qui ne passent pas (Christian Cogné, Requiem pour un émeutier)



Littérature sur l'école (3)

Dans la série "témoignages sur le terrain", je viens d'entamer un livre qui se distingue très nettement par la qualité de son écriture, sa profondeur et son pouvoir horrifique: Requiem pour un émeutier, de Christian Cogné (Actes Sud, Septembre 2010) - sous-titré "La naissance d'un tiers monde de l'éducation", expression à laquelle je souscris parfaitement.

L'auteur commence le livre par deux pages d'évocation de sa propre jeunesse, deux pages bouleversantes au cours desquelles il décrit son séjour traumatisant dans "L'Ecole du plein air", une maison de correction qui ne disait pas son nom. Bien sûr, cela change le regard que le lecteur portera sur les chapitres qui suivent, expliquant sans doute l'étonnante persévérance de l'auteur, par la suite, dans son métier de professeur.

"Au quartier du Moulin-Vert, sur le plateau de Vitry-sur-Seine, il constata que la maison de correction avait depuis longtemps fermé ses portes. Seul, l'enfant de la N7 (il l'appellera aussi "le petite émeutier") donnait des coups de pied contre un grillage invisible. Une force l'empêchait de le rejoindre ; il lui tourna le dos et ne revint que trente années plus tard..."

On a droit ensuite à toutes les figures obligées de ce genre de livre, mais avec une force qui me paraît difficilement égalable en la matière.

Sur la question des violences que subissent les professeurs, ici en SEGPA ou en lycée professionnel (des évocations d'une violence tellement hallucinante qu'il me paraît presque difficile d'y croire si l'on ne s'est pas déjà penché sur le sujet):

"Quand les premiers coups furent frappés contre la porte de ma classe, je me rendis compte que tout ce beau monde était venu pour me faire la peau. Je mis le verrou. Les garçons à l'intérieur devinrent complètement hystériques. Ils hurlaient qu'il y avait un autre accès par la porte de secours. Je la verrouillai également. Mais les coups redoublés eurent bientôt raison des vis qui menaçaient de sauter une à une. Les garçons de plus en plus excités encourageaient les assaillants : "Il ne reste plus que deux vis. Plus qu'une... Ouais !" En proie à la panique, je pourrai une table contre chaque battant. En vain, celui de l'entrée finit par céder à grand fracas et je me retrouvai acculé contre le tableau avec la pointe d'un cran d'arrêt sur la gorge. "Bouge pas, bouge pas, ou j'te crève", hurlait une jeune fille qui appuyait la lame contre ma carotide." (page 21)

Sur la démisssion d'une partie du système :

" Que savaient-ils, ces profs, du lycée professionnel, pour y envoyer des jeunes qui n'en avaient jamais entendu parler, sinon en termes évoquant davantage une punition qu'une formation ? (...) Parce que le vrai problème de l'Education nationale, au fond, reste de ne pas savoir quoi faire des jeunes en grande difficulté ; elle, dont la mission, se réclamant de Jules Ferry, consiste à vaincre "la plus redoutable des inégalités, l'inégalité d'éducation." " (page 46)

Sur les prises de conscience, les sursauts de révolte du corps enseignant ; mais aussi sur les écrivains médiocres qui daubent sur la banlieue sans forcément la connaître :

"Un écrivain, qui vient en banlieue dans les écoles parler de ses livres, s'inspirant du rapport Obin, écrira un roman où il est question de la réalité sordide des cités : retour à la barbarie, profs battus dans les collèges, dhihad urbain, barbus assassins, violeurs, etc. L'apocalypse, pas moins !" (page 105)

Sur l'émotion des retrouvailles avec ces élèves auxquels quelques cours ont apporté de la lumière, malgré tout:

"Il se mit à rire. "Vous vous souvenez... ces nouvelles que nous avions écrites ? Enfin... on ne savait plus très bien à la fin qui les écrivait... Je repense quelquefois à l'écroulement de la tour. Nous étions à la fois entre quatre murs et dehors. Devant un tas immense de gravats. J'ai l'impression que c'est à partir de là que nos chemins... je veux dire ceux des élèves de la classe se sont ouverts. - Le mien aussi, Anton, crois-moi !" (page 93)

J'ai lu ce livre tenu par un sentiment perpétuel de révolte et par une sincère admiration pour cet homme chevronné, ce professeur courageux doublé d'un véritable auteur. Il y a quelque chose de terrifiant dans le chantier qui s'offre à nous pour rénover cette école qui prend l'eau de toutes parts. Mais il y a quelques personnalités admirables qui donnent envie d'espérer, parfois.

samedi 16 octobre 2010

Plaisir des cours magistraux



Aujourd'hui je m'étonne que les cours magistraux aient si mauvaise presse... A l'iufm il nous était clairement signifié qu'il fallait les éviter, autant que possible (consigne caractéristique de la ligne "pédagogiste"), et il m'arrive encore souvent d'entendre de la bouche de professeurs que "les cours magistraux, ça ne marche pas"...

Curieusement, j'ai le sentiment inverse: certes, il est nécessaire de varier les effets, de favoriser l'échange, d'éveiller chez l'adolescent une conscience critique... Certes, une part des élèves n'est pas réceptive au déroulé d'une leçon qui ne lui demande que de prendre en notes et de comprendre, éventuellement... Mais je suis persuadé, maintenant, qu'un cours a besoin d'une sorte de colonne vertébrale qui serait, précisément, une partie de cours magistral pur, revendiqué comme tel. Contrairement à ce qu'il est souvent alégué, les élèves les plus faibles expriment eux-mêmes le besoin de ces parties dictées. Il y a quelque chose de rassurant, de structurant, à savoir qu'il existe un noyau de connaissances auquel se référer pour progresser. (Sans parler même de l'irremplaçable pouvoir "pacificateur" de ces minutes où le professeur dicte un cours à des élèves qui, dès lors, se taisent...)

Mais surtout, comment ne pas voir le plaisir des élèves à prendre en notes un cours qui leur semble intéressant ? Personnellement, les seuls cours dont je me souvienne avec émotion, les seuls cours à m'avoir appris quelque chose ont été des cours magistraux... Un professeur de français m'a ébloui, l'année de première, par ses brillants commentaires de Proust ou de Céline (une trentaine de textes étudiés cette année-là); quelques années plus tard, je jubilais à chaque minute d'un cours magistral de philosophie politique à HEC (des leçons qui n'excluaient pas les questions des étudiants) et c'est à l'Université Paris IV, plus tard encore, pendant mes études de philosophie, que je tombais en extase devant un cours d'esthétique, dont l'heure ultime, en forme de synthèse particulièrement dense, m'a laissé pantois... Chaque fois, je n'aurais pas aimé que des étudiants interrompent le cours par des remarques intempestives sans grand intérêt. Ce qu'il y avait de beau, précisément, c'était ce côté frontal, ce déversement de connaissance pure et je ne voyais pas ce qu'il y avait d'infâmant à ce que l'élève, la plupart du temps, se contente d'écouter...

lundi 11 octobre 2010

"Pédagogues" contre "républicains" (La littérature sur l'école (2))


Segolene - Débats - Education
envoyé par segolene-royal. - L'info video en direct.

Pour schématiser quelque peu, cela fait trente ans maintenant que deux camps se livrent une sourde guerre, en France, dans le domaine de la pédagogie.

D'un côté, les "pédagogues" (souvent appelés, non sans ironie, "pédagogistes"), dont la figure emblématique est Philippe Meirieu, et qui cherchent, notamment depuis 1989 et la loi Jospin sur l'orientation scolaire, à mettre "l'élève au coeur du savoir" (cela suppose moins de cours magistraux, moins d'exercices supposés contraignants, et davantage d'expression libre, de dialogue, de mises en valeur des compétences de l'élève).

De l'autre, les "républicains" (appellation non dénuée d'ironie elle aussi), représentés par exemple par le collectif Sauver les lettres, reprochant aux premiers de saborder le principe même de la transmission des savoirs, depuis trente ans qu'ils sont au pouvoir par l'entremise des iufm, par exemple, mais aussi par leur influence sur les ministres qui se sont succédés à l'Education Nationale. Pour eux, ce genre de lubie pédagogique expliquerait le terrifiant effondrement du niveau scolaire des élèves du secondaire.

Poursuivant ma découverte des témoignages et des essais sur le système scolaire français, j'ai par exemple lu L'école de la lâcheté, de Maurice T. Maschino, affilié à ce collectif Sauver les lettres. Différent de L'école de la honte, dont je parlais précédemment, car il n'est pas fondé sur le témoignage traumatisé d'un jeune enseignant, il présente en revanche le même ton d'indignation, le même genre de sentences. Il compile les témoignages et les extraits de rapports, tous plus accusateurs les uns que les autres, et si certains sont saisissants, le livre pâtit une nouvelle fois de la grande véhémence de l'ensemble, qui manque de nuance.

On s'amusera par exemple à lire (ou bien l'on s'en effraiera):

"La lettre de FO signale encore un autre cas. Celui de Mme B., qui enseigne depuis 29 ans et s'efforce de donner à ses élèves de ZEP le maximum de connaissances pour qu'ils poursuivent leurs études le plus loin possible. Bien entendu, elle déplaît, et sa note tombe de 17,5 à 10/20: "Mme B. s'engage dans des projets qui sont susceptibles d'enrichir son enseignement, mais la mise en oeuvre des activités qu'elle propose est fondée essentiellement sur la transmission des connaissances."" (L'école de la lâcheté, J'ai Lu, page 74)

J'attaque maintenant le livre de Fanny Capel (l'une des figures de proue de Sauver les lettres), Qui a eu cette idée folle jour de casser l'école ? (Ramsay, 2002). Beaucoup plus documenté que le précédent, tout aussi accusateur mais plus nuancé dans l'expression, il a le mérite de soulever toutes les polémiques possibles et constitue, que l'on soit d'accord ou pas avec les thèses exposées, une excellente première base documentaire sur l'évolution du système éducatif français depuis trente ans.

La thèse du livre pourrait être résumée par ce seul paragraphe, page 17 de l'édition de poche :

" Lorsque Luc Ferry affirme que "la cause du déclin de la transmission des savoirs ne tient ni à la massification de l'enseignement, ni à la méthode globale, ni au manque de moyens", et qu' "il faut la chercher plus loin, dans la culture du XXè siècle", autrement dit lorsqu'il demande qu'on cesse d' "incriminer l'école", il use d'un argument irrecevable. En déplaçant les problèmes sur un terrain sociologique, il ne fait que justifier son inertie, son refus d'agir sur les horaires, les programmes, les instructions officielles, la formation des professeurs, les structures des classes et des filières, autant d'éléments-clés qui entrent en jeu dans la qualité et l'efficacité de l'enseignement et sont fort malmenés depuis quinze ans."

Le diagnostic a le mérite de nourrir le débat. Cependant je ne suis pas sûr d'être aussi catégorique dans l'analyse : d'une part il me semble que les professeurs, malgré des inspections régulières, gardent une grande autonomie dans l'exercice de leur métier, et qu'il leur est donc loisible de faire lire des classiques à leurs élèves et de leur donner à faire des exercices de grammaire; d'autre part Fanny Capel minimise les phénomènes d'évolution sociologique; or il me semble que l'arrivée massive dans le système d'élèves parlant à peine le français joue un grand rôle dans les difficultés de certains établissements, qui manquent par ailleurs de moyens. Il est vrai que les réformes de programmes n'ont rien arrangé, mais je ne les crois pas responsables de tous les maux.

Il me reste à finir ce livre, puis à attaquer quelques-uns du grand manitou des réformes des années 90, Philippe Meirieu... Depuis le temps que je l'écoute sur les antennes et que j'entends parler de lui (on l'admire ou on le déteste), je suis très curieux de lire sa prose.

vendredi 8 octobre 2010

La littérature sur l'école


“L’école de la honte”
envoyé par bergheim. - L'actualité du moment en vidéo.

En ce moment je prépare un texte sur mon expérience de professeur, et je dévore quelques livres sur le sujet. L'offre est pléthorique ! On ne compte plus les témoignages d'enseignants, souvent à charge contre le système, d'ailleurs, ni les éditeurs qui paraissent se spécialiser en la matière.

Dans le genre coup de gueule et pamphlet, je viens par exemple de finir un ouvrage qui marche très fort en ce moment, L'école de la honte, d'Emilie Sapienlak (Editions Don Quichotte, 2010). L'auteur y raconte ses trois ans dans différents collèges Zep, et les raisons qui l'ont amenée à démissionner. Le livre débute de manière assez maladroite, avec un mélange de lyrisme et d'émotion dont on voit mal à quoi il mène. Mais le malaise s'installe progressivement, et la deuxième partie fonctionne beaucoup mieux, peut-être parce que l'auteur, passé le côté glaçant du passage à l'acte d'écriture, se laisse aller à exprimer sa colère et pousse beaucoup plus loin la révolte. Certaines sentences, excessives, nuisent à la crédibilité de l'ensemble, mais après tout c'est la loi du genre...

"On ne se promène pas dans les couloirs du collège. Toute errance y est morbide, comme l'est celle d'un malade dans un asile. Le collège est devenu un catalyseur de folie. Mais contrairement aux gardiens et médecins des hôpitaux, les professeurs ne sont pas très différents des malades. A force de composer avec les névroses d'autrui, je sens grandir en moi un état de confusion que je ne peux pas toujours maîtriser. L'absurde a tout envahi et gomme petit à petit la norme, la mesure et le bon sens." (L'école de la honte, page 184)

jeudi 7 octobre 2010

Les répliques qui tuent de bon matin

Certains amis, certains collègues ont le don pour vous déstabiliser dès la première phrase échangée. Il y a les classiques "Mon Dieu, ce que tu as l'air fatigué !", "Je me trompe ou tu es malade ?", mais il y a des variantes plus fantaisistes.

Récemment, j'ai ainsi eu droit à : "Ouh là! Mais ton visage est tout rond ! Qu'est-ce qu'il t'arrive ? Tu as grossi, non ? (Regard inquisiteur...) Non... C'est fou, ça.... Comment ça se fait ?" Ou bien: "Tiens, c'est marrant ! Hi hi ! Je me rends compte seulement maintenant que tu ressembles à un poisson ! C'est vraiment surprenant !"'

dimanche 3 octobre 2010

Les questions qu'on n'attend pas



(Vidéo : Clip de Knockout, excellente fusion rock-rap dans le dernier album de Lil Wayne, Rebirth)

Quelques remarques ou questions récemment entendues de la bouche d'élèves de bts ou de lycée :

1) Monsieur, est-ce que vous êtes un bobo ?

2) Monsieur, vous avez de beaux restes.

3) - Monsieur, comment s'appellent vos enfants ?
- Euh... Je n'en ai pas encore.

4) Monsieur, faites pas trop la fête ce week-end, hein ?

vendredi 1 octobre 2010

DeLillo, petit homme paranoïaque (Point Oméga, Actes Sud)



Rentrée littéraire 2010 (5)

Vendredi dernier, je suis allé dans la librairie L’Arbre à Lettres (Paris 12) faire signer mon exemplaire du dernier roman de Don DeLillo, tout juste sorti, Point Oméga (Actes Sud), avec d’autant plus de curiosité que l’homme est connu pour être farouche et n’apparaître que rarement en public. Faut-il s’en étonner ? Les thèmes privilégiés de son œuvre ont toujours été la paranoïa, le culte du secret et l’impossibilité pour les mots de recouper la réalité…

En la matière, je n’ai pas été déçu. Je m’attendais naïvement à quelques échanges du libraire avec l’auteur (que j’aime placer parmi les dix plus grands auteurs vivants), au pire à la lecture d’une petite série d’extraits, mais le grand homme (de petite taille et d’allure chiche, quoique souriant et fort aimable) s’est contenté de faire savoir qu’il ne voulait pas qu’on le photographie, avant d’enchaîner la série des signatures – s'en tenant pour chacun à un modeste « To Untel »…

A propos de DeLillo, génial auteur cérébral et froid, j’aimerais d’ailleurs raconter une anecdote : un bon ami me disait avoir été touché par son avant-dernier livre, L’homme qui tombait – très bon titre pour un roman que l’on attendait au tournant, puisqu’il abordait le thème du 11 Septembre et que DeLillo s’était précisément fait une réputation internationale pour ses premiers livres obsédés par le thème des attentats sur le sol américain.

Surpris qu’on puisse être touché par un DeLillo (excellent à bien des égards mais, disons, peu porté sur le sentimentalisme), je m’étais résolu à acheter ce livre qui ne m’avait pas attiré jusqu’alors – j’avais la sensation que DeLillo tournait en rond depuis quelques temps déjà. Et j’ai retrouvé ses belles considérations glacées sur l’image ou le traitement de l’information, mais sans la moindre once de frémissement pathétique.

Revenant vers l’ami : « Avons-nous vraiment lu le même livre ? J’ai du mal à croire qu’on puisse être touché par ce roman… - Maintenant que tu le dis, je dois t’avouer que je ne l’ai pas fini. Je n’en ai même lu qu’une vingtaine de pages… Le thème me touchait, ces gens dont la vie est bouleversée par le 11 Septembre. Mais bon, disons que ça me suffisait de savoir que ça parlait de ça. Je n’ai pas eu le courage de poursuivre… »

Les mauvaises langues diront que nous venions de faire une bonne synthèse des romans de DeLillo : dix pages qu’on lit avec un certain sentiment de surprise, et puis un effort perpétuel par la suite, assez comparable à mes yeux à une ascèse – une ascèse qui peut être sublime, cependant, et assez génialement connectée à toutes les obsessions de l’époque. Mais j’y reviendrai…