La littérature sous caféine


mardi 20 février 2024

Les thèmes improbables

Depuis des années je mûris le projet d’un roman qui s’intitulerait « Le plaisir de décevoir ». Or, Laurent de Sutter publie ces jours-ci : « Décevoir est un plaisir ». Depuis des années je réfléchis à un essai théorisant le droit de ne pas s’engager. Or, Patrice Jean vient de sortir un brillant « Kafka au Candyshop ». Depuis des années je rêve d’écrire le portrait d’un garçon de province, naïf et bien intentionné, se cassant les dents sur Paris. Or, Dominique Fernandez annonce la sortie chez Grasset d’« Un jeune homme de province ».

Ecrire, c’est courir après les thèmes encore vierges.

C’est apprendre à lâcher certaines proies.

Finalement, certains de mes textes improbables auront eu du bon (accompagnement sexuel, fétichisme de la mort, pauvreté blanche…). J’aurai connu avec eux, non pas l’encombrement des voies à la mode mais l’air raréfié des sujets qui fâchent – mieux, qui gênent. On a les plaisirs pour happy fews qu’on mérite. Ma « Viveuse » restera longtemps incomprise – et donc, sans concurrence.

mardi 4 juillet 2017

Court mais intense

Le samedi 22 juillet, j’aurai le plaisir d’animer un atelier d’écriture intitulé « L’art du texte court », dans la belle école Les mots lancée par Alexandre Lacroix et Elise Nebout. Au programme des six heures d’atelier, nous nous inspirerons de choses aussi variées que les haïkus, les saynètes biographiques de Colette ou les shots de littérature punk. Court, mais intense !

mercredi 15 décembre 2010

A propos des livres...

Sur le site Buzz Littéraire, j'ai répondu aux questions d'Alexandra Galakof à propos de mes lectures (avec quelques photos, en prime, de ma bibliothèque...)

A lire ICI ![...]

vendredi 8 juin 2007

La Tambouille (Proust / Vizinczey)



Si mes souvenirs sont bons, Marcel Proust détestait qu’on compare la littérature (et tout autre art) à la cuisine, considérant qu’un bon plat résultait de l’application d’une recette, alors que l’Art répondait à des déterminations plus subtiles…

Et pourtant c’est à une véritable tambouille que j’ai l’impression de me livrer depuis quelques jours en retravaillant un manuscrit, mettant sur le feu les mêmes pages depuis des semaines, relisant et réduisant, ôtant un peu de ceci, mettant un peu de cela, diluant tel passage ou corsant tel autre… Je passe d’une première version froide et tendue à une autre plus lyrique, pleine de colère et d’énergie… Pleine de douceur, aussi, je viens de le décider aujourd’hui, parce qu’il faut bien que les personnages soient humains…

Douceur que l’on sent d'ailleurs chez le narrateur d’ Eloge des Femmes mûres (Stephen Vizinczey, Folio), ce très beau best seller mondial mettant en scène les amours d’un jeune homme malicieux, toujours à l’affût des beautés secrètes :

« J’aurais peut-être réussi à la faire céder si j’avais continué à la harceler quand elle sortait de la douche dans les divers quartiers d’officiers qu’elle fréquentait. Mais, curieusement, je n’essayai même pas. Son geste impulsif pour m’arracher à mon supplice sur le lit du lieutenant me découragea de vouloir prendre les femmes au dépourvu. Je me sentais comme un voleur entré dans une maison par effraction et qui, surpris par le propriétaire, se fait simplement renvoyer avec un cadeau. » p 41)

lundi 4 juin 2007

L'humour et le charme (Jonathan Coe : Le Cercle Fermé)



Je n’ai toujours écrit que des romans dramatiques (je fais référence aux dizaines de manuscrits qui encombrent mes tiroirs...) et celui que je travaille en ce moment l’est toujours autant – il me semble que le traumatisme soit un de mes thèmes fétiches…

A l’âge de dix ans j’ai bien tenté le coup du roman comique, mais je crois me souvenir qu’il n’avait fait rire personne.

Pourtant je savoure autant les petits bijoux de drôlerie que le chefs d’œuvres sombres, et je me dis que le prochain opus dans lequel je me lancerai (probablement cet été) contiendra, non sans doute encore du comique proprement dit, mais une bonne dose de charme, ce qui pourrait être une première étape vers plus de légèreté.

Ce genre de réflexion me vient en lisant par exemple certaines pages savoureuses du dernier Jonathan Coe, Le Cercle Fermé (Folio, 2007), (intrigues sentimentalo-politiques sur fond d'épopée blairiste) comme cette description d’un parc, le dimanche, où les pères de famille semblent quelque peu démunis :

« Il y avait beaucoup de pères ce matin-là dans le square, et beaucoup d’enfants qui réclamaient leur attention sans l’obtenir. A cet égard, Coriander, malgré l’absence de ses parents, n’était pas la plus mal lotie. La plupart des nounous, apparemment, avaient leur dimanche libre, et les pères pouvaient ainsi profiter de leurs enfants au parc tandis que les mères restaient à la maison pour faire ce qu’elles ne pouvaient faire le reste de la semaine pendant que les nounous s’occupaient de leurs enfants. Ce qui signifiait en pratique que les enfants étaient livrés à eux-mêmes, délaissés et confus, tandis que les pères, chargés non seulement de journaux mais de pintes de café Starbucks ou Coffee Republic, tentaient de faire sur un banc ce qu’ils auraient fait à la maison s’ils en avaient eu la possibilité. » (p112)

Admirez au passage le changement de coiffure :

lundi 28 mai 2007

Les Cygnes Noirs de nos dimanches pluvieux (Yorke / Zorn)



Week-end pluvieux, quoi de meilleur pour approfondir son blues que d’écouter en boucle le merveilleux titre de Tom Yorke, Black Swan, sur son dernier album solo – riffs légers de guitare pour mélodie sombre – et de ressasser l’excellente première page de cet étincelant bijou qu’est Mars, de Fritz Zorn (ça ne s’invente pas) (Folio 2006), histoire d’essayer de faire aussi bien pour les premières lignes du prochain opus – un opus solennel et grave, autant que faire se peut…

« Je suis jeune et riche et cultivé ; et je suis malheureux, névrosé et seul. Je descends d’une des meilleures familles de la rive droite du lac de Zurich, qu’on appelle aussi la Rive dorée. J’ai eu une éducation bourgeoise et j’ai été sage toute ma vie. Ma famille est passablement dégénérée, c’est pourquoi j’ai sans doute une lourde hérédité et je suis abîmé par mon milieu. Naturellement j’ai aussi le cancer, ce qui va de soi si l’on en juge d’après ce que je viens de dire. Cela dit, la question du cancer se présente d’une double manière : d’une part c’est une maladie du corps, dont il est bien probable que je mourra prochainement, mais peut-être aussi puis-je la vaincre et survivre ; d’autre part, c’est une maladie de l’âme, dont je ne puis dire qu’une chose : c’est une chance qu’elle se soit enfin déclarée. Je veux dire par là qu’avec ce que j’ai reçu de ma famille au cours de ma peu réjouissante existence, la chose la plus intelligente que j’aie jamais faite, c’est d’attraper le cancer. » (Mars, Fritz Zorn)

jeudi 24 mai 2007

Banks / Ballard / Bernhard (Remix)



Retravaillant un manuscrit pour Flammarion, et cherchant à gommer le côté heurté du style qui pouvait faire mouche dans Azima, mais qui peut lasser dans un roman de 300 pages (surtout lorsqu’un seul personnage prend la parole), je me replonge dans trois types d’écritures dont je pourrais m’inspirer :

- L’écriture puissamment sereine (quoi qu’un peu longuette parfois) de l’excellent bouquin de Russel Banks, Affliction (Babel, Actes Sud) adapté dans le superbe film éponyme de Paul Schrader (photo ci-dessus), avec Nick Nolte notamment.

« Il n’y avait pas de problème, à l’époque, aucun, ou du moins c’était ce qu’il semblait. Et Wade, revoyant les choses à vingt ans de distance puis observant ce jeune couple devant lui, était encore d’avis qu’il n’y avait alors pas de problème. Ç’avait été une époque magnifique, pensait-il, absolument magnifique. Après cette période les choses avaient soudain commencé à tourner mal. » (p46)

- L’écriture ciselée, brillamment classique, et pourtant terriblement horrifique de JC Ballard, par exemple dans son chef d’œuvre de sadisme urbain Crash (adapté au cinéma par Cronenberg, et récemment sorti en Folio) :

« Rondeur des cuisses d’Helen contre mes hanches, son poing gauche frappant mon épaule, sa bouche happant la mienne, moiteur de l’anus que vrillait mon annulaire – tout cela répondait point par point au catalogue d’une technologie complaisante : courbes du tableau de bord coulé dans un moule, carapace saillante de la colonne de direction, extravagante poignée de pistolet du frein à main. Je palpais le vinyle chaud du siège, puis le périnée moite d’Helen. Sa main serrait mon testicule droit. Les plastiques laminés qui m’entouraient avaient une couleur d’anthracite mouillé, pareille à celle du rideau de poils pubiens entrouvert à l’entrée de sa vulve. L’habitacle nous enserrait comme une machine chargée d’engendrer à partir de notre coït un homoncule fait de sperme, de sang et de lubrifiant. » (p81, Editions Denoël)

- Le souffle noir et chirurgical de l’auteur autrichien Thomas Bernhard, à l’œuvre par exemple dans ce long monologue plein de fiel, Oui (Folio) :

« … j’avais justement fait irruption chez Moritz – qui était sans doute à ce moment-là l’être dont je me sentais le plus proche – pour lui déballer tout à trac et sans le moindre ménagement la face cachée, pas seulement entamée, mais déjà totalement dévastée par la maladie, de mon existence, qu’il ne connaissait jusque-là que par une face externe pas trop irritante et donc nullement inquiétante pour lui, ne pouvait par là que l’épouvanter et le choquer… »