La littérature sous caféine


lundi 28 novembre 2022

Dèche au Flunch



Du temps de ma "dèche à Paris", comme aurait dit Orwell (en l'occurrence, un simple mi-temps dans l'Education nationale), j'avais mes habitudes au Flunch de Beaubourg. J’aimais son atmosphère houellebecquienne. Aujourd'hui, je me suis embourgeoisé – un effet de la maturité, sans doute – et j’ai quitté les Flunch pour les étoilés de Champagne.

N'empêche que je retrouve avec plaisir mon Flunch préféré dans le roman de Fabrice Chatelain, « En faut de l’affiche » (Intervalles, 2022), une sacrée satire des mondes de l’art et du cinéma. Personnages grotesques, situations bien croqués, sentiment d’échec à tous les étages, chute vertigineuse à la « Valse des pantins »... Y aurait-il une nouvelle école de la comédie, française irrévérencieuse et mélancolique, dont le chef de file serait par exemple Patrice Jean ?

« Le Flunch de Beaubourg était presque vide et seul le faible tintement métallique des couverts en inox brisait par intermittence le silence morne qui régnait dans la salle de restaurant. (…) Bien que gênée par le comportement étrange de son compagnon qui attirait l’attention des autres clients médusés, Sophie n’osa pas l’interrompre. A la fin de la tirade, il se mit carrément debout pour scander :

« Et l’aigle impérial, qui, jadis, sous ta loi,
Couvrait le monde entier de tonnerre et de flamme,
Cuit, pauvre oiseau plumé, dans leur marmite infâme ! »

Le responsable de permanence du Flunch, qui apparemment n’avait entendu que le dernier vers, se dirigea vers leur table pour signifier à Paillard qu’il ne pouvait pas dire des choses pareilles. Les cuisines de l’établissement étaient irréprochables et faisaient l’objet de contrôles sanitaires réguliers. » (pp 97-99)

lundi 21 novembre 2022

Paris hanté

Quand je me promène dans Paris, j'ai souvent l'impression de croiser le fantôme de Breton, comme devant cet angle en rotonde dont je suis sûr qu'il l'aurait aimé, et qui pourrait très bien figurer en photo dans son Nadja. J'aime l'idée que Paris soit hanté.

samedi 5 novembre 2022

Les Russes sont-ils nos frères ?



J’ai beaucoup écrit sur les violences faites aux femmes, et depuis quelques années je me nourris de littérature russe. C’est dire comme je ne pouvais lire qu’avec attention « Trois sœurs » (L’Iconoclaste, 2022), le livre que Laura Poggioli consacre à un fait divers survenu à Moscou, l’histoire de trois sœurs assassinant leur père après des années de sévices. L’auteure raconte en parallèle son histoire d’amour avec un Russe, et les brutalités qu’elle a subies, elle aussi, pendant cette idylle.

On y guette les considérations sur la violence – violence des hommes, violences des Russes malmenés par des décennies de terreur – et sur les différences entre Occident et Russie. Récemment, j’ai pu lire des articles d’auteurs français qui insistaient sur les différences irrémédiables entre les deux civilisations, et l’atavisme terrible de la barbarie qui régnait là-bas. Or, je n’arrive pas à me résoudre à l’idée qu’un peuple ayant accouché d’une littérature aussi sublime – et proche de nous, au point que je me sens russe en lisant Tourgueniev ou Tolstoï – soit intimement et uniformément lié aux criminels dont il accouche. Laura Poggioli distille de nombreux éléments de réflexion à ce sujet, à la fois limpides et éclairants, éléments qui ne doivent pas être étrangers au succès du livre.

« Si l’accès aux archives de la Tcheka, de la Guépéou et du NKVD restait compliqué malgré l’effondrement de l’Union soviétique – cela avait duré assez longtemps pour que la police politique ait le temps de changer de nom plusieurs fois –, celles de la Stasi ouvertes en Allemagne de l’Est avaient révélé à beaucoup d’individus qu’ils avaient été dénoncés de la main d’un collègue, d’un conjoint, d’un voisin. Ces délations ont laissé des traces indélébiles, et je me demandais si le fait que les hommes russes soient aujourd’hui si nombreux à espionner leur compagne, à ne pas supporter de ne pouvoir tout contrôler d’elle, ne venait pas de là. » (p184)