La littérature sous caféine


vendredi 12 novembre 2010

Chateaubriand, rédacteur en chef des Guides Vert



J’entame ma lecture, que j’espère complète un jour, des Mémoires d’outre-tombe de Chateaubriand (je n’en avais lu que des bribes). Quelques petites remarques :

Je suis étonné par l’usage que Chateaubriand fait des virgules. Par exemple, il en place une systématiquement entre le sujet, lorsqu’il est relativement long, et le verbe qui suit. "Les embrasures des fenêtres étroites et tréflées, étaient si profondes, qu'elles formaient des cabinets autour desquels régnait un ban de granit. " Usage rythmique de la virgule, et je me demande si ces quelques « tics de virgule » étaient propres à François-René ou s’ils étaient courants à l’époque – je n’ai pas le souvenir que cela m’ait marqué chez d’autres.

Le seul défaut qui me gêne un peu, dans le premier livre de ces Mémoires, est une certaine complaisance, une certaine grandiloquence, même, dans l’expression du malheur. C’était un trait propre aux romantiques, bien sûr, mais je le trouve vraiment daté ici (bien que cela donne des choses très belles). Peut-être parce qu’on attend aujourd’hui, dans un écrit autobiographique, plus de simplicité que dans un poème. Rien que dans l’avant-propos : « Si j’ai assez souffert en ce monde pour être dans l’autre une ombre heureuse, un rayon échappé des Champs-Elysées répandra sur mes derniers tableaux une lumière protectrice : la vie me sied mal ; la mort m’ira peut-être mieux. »

- Cela n’ôte rien à la grande majesté de l’ensemble, et je trouve l’auteur particulièrement saisissant lorsqu’il brosse en quelques dizaines de lignes les destinées de familles entières. J’ai notamment été frappé par le fait que sa propre famille, une lignée d’aristocrates prestigieux, se soit laissée ruiner en deux ou trois générations par simples négligences, ou bien par idéalisme, bien avant que ne les frappe de plein fouet la Révolution. J’aime aussi beaucoup ses scènes de genre, ses peintures de vies quotidiennes, ses croquis de petites communautés…

- Saisissantes sont également ses descriptions de la nature bretonne… Précises, inspirées… Je trouve assez drôle que ce genre de paragraphe puisse passer aujourd’hui pour très moderne (dans le sens où l’on pourrait leur trouver un côté très écologiste) alors que les obsessions romantiques ont souvent été considérées comme passéistes. On dirait de véritables extraits d’un Guide Vert sur la Bretagne !
« Le printemps en Bretagne est beaucoup plus beau qu’aux environs de Paris : il commence trois semaines plus tôt. La terre se couvre d’une multitude de primevères, de hyacinthes de champs et de fleurs sauvages. Le pays entrecoupé de haies plantées d’arbres offre l’aspect d’une continuelle forêt et rappelle singulièrement l’Angleterre. Des vallons profonds où coulent de petites rivières non navigables, présentent des perspectives riantes et solitaires : les bruyères, les roches, les sables qui séparent ces vallons entre eux en font mieux sentir la fraîcheur et l’agrément. »

mardi 9 novembre 2010

Moebius ou le monde perdu de l'enfance



La bande-dessinée représente pour moi comme le monde perdu de l’enfance. Il m’a souvent semblé qu’il était impossible, adulte, de retrouver la magie pure des heures où vous vous laissez emporter par des histoires de vaisseaux spaciaux, d’épopées dans des mondes imaginaires, de personnages rocambolesques. Vous pouviez, de temps en temps, céder à l’émerveillement devant un film d’aventure ou de science-fiction, mais c’était une forme de régression qu’il fallait quelque peu circonscrire.

Or depuis quelques mois je retrouve enfin le plaisir pur de la bande-dessinée, dénuée de cette tristesse consistant à se savoir adulte dans un monde enfantin. Il suffisait, au fond, de trouver des auteurs qui s’adressaient à l’adulte que je suis plutôt qu’à l’enfant que j’aimerais redevenir, sans renoncer à la part de délire et de fantasmagorie.

Il y a quelques semaines je découvrais ainsi avec émerveillement cet American Splendor dont le volume deux va sortir dans les jours qui viennent. Et je viens de me plonger avec délices dans les étranges et remarquables volumes de la série Inside Moebius, dans lesquels le génial Moebius, dessinateur/scénariste, entre autres, de L’Incal ou de Blueberry, se met en scène lui-même, perdu dans son propre univers, croisant ses personnages et cherchant à trouver un sens à tout cela. Réflexion sur le métier d’auteur, mais surtout virtuoses digressions graphiques, dont on aimerait qu’elles ne s’arrêtent jamais vraiment. Je suis soulagé : je retrouve mon âme d’enfant, et par miracle c’est aussi mon âme d’adulte.

samedi 6 novembre 2010

Philip Roth ou la narration virile


La grande librairie - Philip Roth
envoyé par Jeremy_Kaplan. - Regardez plus de courts métrages.

Je commence à avoir bien avancé dans ma lecture de l'oeuvre de Roth, et le roman que je viens de lire est mon préféré : La Contrevie (Gallimard 2004 pour la traduction française), second volume du cycle "Nathan Zuckermann" (du nom de l'alter ego de Roth), qui se prolongera par trois titres considérés comme ses chefs-d'oeuvre, Pastorale Américaine, La Tache, J'ai épousé un communiste, et auxquels je préfère, moi, cette étourdissante Contrevie.

On y voit notamment Nathan Zuckermann dresser le portrait de son frère, Henry, dentiste dont la vie rangée bascule le jour où il décide de se faire opérer pour retrouver toute sa puissance sexuelle, et qui part dans un second temps en Israël pour essayer de renouer avec une existence plus "authentique", mais l'égie d'un véritable "Fou de Dieu". Nathan lui-même voudra changer le cours de sa vie en épousant une jeune Anglaise, issue d'une famille à l'antisémitisme plus redoutable que ce qu'il craignait...

C'est un des romans "amples" de Roth (550 pages en Folio) et pourtant parfaitement tenu, jonglant avec les points de vue, ne cédant jamais à la tentation de l'humour délirant qui plombe certaines de ses oeuvres (à l'exception d'un épisode, inutilement grotesque à mes yeux, d'un attentat raté dans un avion), ni de ces tableaux ultra-réalistes qui alourdiront par exemple Pastorale Américaine (j'ai le souvenir de pages très détaillées sur l'industrie du cuir, morceaux de bravoure à la Balzac que je trouvais datées...).

La force de Roth, c'est cette étonnante fécondité narrative qui lui fait développer sur des dizaines de pages constamment tendues, constamment portées par le drame, des scènes de la vie quotidienne, et entremêler les faits et les argumentations de manière à suggérer que nos vies sont constamment travaillées par les malentendus, la mauvaise foi, les pulsions, les complexes, les peurs inavouées... Tragédie perpétuelle, humour sarcastique, lyrisme sexuel, les cordes des Roth sont innombrables et chaque fois il me donne la sensation, décidément, d'être le plus grand écrivain vivant (ce qu'il serait cependant ridicule d'affirmer).

Parmi les très nombreuses pages éclatantes, cet aveu de la part de Maria, qui cherche à persuader Nathan qu'il se trompe en voulant l'épouser (on notera au passage la pique dirigée contre Sollers, dont je ne sais pas si Roth lui-même la reprendrait à son compte...):

"Intellectuellement, je ne suis pas ton genre, et je ne suis guère bohème. Oh, je l'ai essayée, la Rive gauche ; à l'université, je fréquentais des gens qui se promenaient avec Tel Quel sous le bras. Je les connais, ces sornettes, ça vous tombe des mains ; entre la Rive gauche et les vertes pelouses, je choisissais les vertes pelouses ; je me disais : "Est-ce que je suis vraiment obligée d'écouter ces âneries à la française ?" et je finissais toujours par filer. Sexuellement aussi, je suis plutôt timorée, tu le sais - je ne suis que le produit archi-prévisible d'une éducation Vieille Angleterre dans la petite noblesse sans terres. Je n'ai jamais rien fait de lascif dans ma vie. Quant à avoir des appétis inavouables, je ne crois pas en avoir eu un seul. Je n'ai pas un talent fou. Si j'avais la cruauté d'attendre le jour du mariage pour te montrer ce que j'ai publié, tu regretterais de m'avoir fait ta demande. Je suis une tâcheronne ; j'ai le cliché volubile, je tisse une mousseline de prose éphémère à l'usage de magazines idiots. Les nouvelles que je tente de composer sont sur des sujets absurdes ; je voudrais parler de mon enfance - follement original ! -, de la brume, des prés, des aristocrates décatis avec lesquels j'ai grandi." (page 262)

jeudi 4 novembre 2010

Lecture d'extraits avec "L'échappée Belle"

Sympathique moment passé avec deux étudiants de Radio Sciences-Po (RSP pour les intimes), au cours de la toute première émission littéraire "L'échappée belle". Nous y avons notamment lu de larges extraits de "Suicide Girls"...

Lien ICI.

lundi 1 novembre 2010

Ambiance, ambiance dans les bars havrais

Quelques jours dans les bistrots havrais pendant ces vacances de la Toussaint :

1) Un homme bedonnant clame à la cantonade : "J'vous dis pas, si j'étais une femme, j'serais une sacrée salope !" (Rire général)

2) Au Chiquito (le même nom que le bar en bas de chez moi à Belleville). Une femme d'une soixantaine d'annéees, manifestement en manque d'affection, portant ce qui doit être sa plus jolie robe, adresse la parole avec une certaine fébrilité à tous les hommes qui passent dans un rayon de dix mètres. Elle commence toujours par justifier le petit verre de rosé qu'elle sirote méthodiquement par: "Je bois ça parce que ça me rafraîchit..." Dehors, il pluviote et la température est passée sous la barre des cinq degrés.

3) M'apprêtant à quitter le même bar, la patrone m'interpelle de façon peu amène : "Monsieur, je ne me trompe pas, vous avez branché votre ordinateur sur la prise qui est là-bas ? - Euh, oui... - Eh bien permettez-moi de vous dire que ça ne se fait pas, Monsieur ! Qu'est-ce que vous diriez, vous, si je venais chez vous et que je branchais mon sèche-cheveux dans votre salon ? Hein ? Vous ne seriez pas content, n'est-ce pas ? Et bien c'est exactement la même chose dans mon bar ! Il y a des choses qui ne se font pas, Monsieur ! - Euh... J'ai l'habitude de le faire dans d'autres bars et ça ne pose pas problème, habituellement... - Au revoir, Monsieur !"

jeudi 28 octobre 2010

Entretien avec Bénédicte Heim


Entretien avec Aymeric Patricot, "Suicide Girls" (1/4)
envoyé par monsieurping2. - Films courts et animations.


Entretien avec Aymeric Patricot, "Suicide Girls" (2/4)
envoyé par monsieurping2. - Découvrez plus de vidéos créatives.


Entretien avec Aymeric Patricot, "Suicide Girls" (3/4)
envoyé par monsieurping2. - Découvrez plus de vidéos créatives.


Entretien avec Aymeric Patricot, "Suicide Girls" (4/4)
envoyé par monsieurping2. - Futurs lauréats du Sundance.

mardi 26 octobre 2010

Les écrivains qui nous apprennent des mots



Adolescent, au cours de mes lectures, j’établissais la liste des mots que je ne connaissais pas, avant de noter soigneusement leur définition sur des feuilles volantes, glissées dans les volumes. Bien sûr, la pêche était particulièrement fructueuse chez Proust et chez la plupart des auteurs du dix-neuvième siècle. Il m’arrivait d’essayer d’apprendre ces listes. Quand je retombe sur elles, vingt ans plus tard, je me rends compte que je connais maintenant ces définitions. Mais les avoir apprises adolescent ne m’a sans doute pas aidé : ce sont mes retrouvailles avec ces mots, régulièrement, de livres en livres, qui m’ont familiarisé avec eux.

Ce goût pour les mots, considérés en tant que tels, a d’ailleurs influencé mes pratiques de professeur, puisque j’ai pris l’habitude de débuter chaque cours par ce que j’appelle « Le mot du jour » (un mot que j’annonce, puis dont je donne la définition, que les élèves consignent dans un carnet). C’est vraiment par ces sortes de petits noyaux langagiers qu’il me paraît judicieux d’essayer de donner goût à la littérature – démarche complémentaire de celle qui consiste à prendre l'écriture "par l'autre bout", celui du récit, celui du souffle romanesque, celui qui fait oublier les mots, précisément, au profit des images qu'ils suggèrent.

Je continue moi-même à apprendre de nouveaux mots, bien sûr, et mes découvertes sont naturellement plus nombreuses chez les auteurs de langue française (les traductions hésitant davantage à recourir à des archaïsmes ou des raretés ?). Lisant par exemple le dernier roman en date de Philippe Le Guillou, Le Bateau Brume (Gallimard, 2010), majestueuse plongée dans les destins croisés de jumeaux dont l’un, peintre rêveur et mélancolique, et l’autre, tourné vers la politique, vont vivre des moments de fusion fantasmatique, avant de se séparer puis de se retrouver, d’années en années (sur fond de Bretagne hantée par les mythes et par la religion chrétienne), je note le mot ondin, page 167 (génie des eaux dans la mythologie germanique) et le mot étier page 163 (chenal étroit). Plaisir non négligeable, qui compte désormais dans mon choix d'approfondir ou non la connaissance de certaines oeuvres...

dimanche 24 octobre 2010

"Quand Houellebecq nous parle d'asticots, c'est passionnant !"

1) Dans un bistrot de Belleville, un sémillant soixantenaire entame un vibrant plaidoyer de Houellebecq devant sa femme qui n'a pas l'air de connaître vraiment : "Un talent fou, ce Houellebecq ! Dans son dernier roman il est capable de parler de mouches au moment où on s'y attend le moins ! Tu vois, dans la dernière partie, ça devient policier, et au moment de décrire le cadavre, il embraye sur une description des mouches avec plein de détails sur la vie des mouches, c'est incroyable ! Personne d'autre ne ferait ça comme lui ! Personne d'autre n'oserait le faire ! Il a vraiment du talent ! Pareil avec les asticots... Il embraye avec les asticots, tu vois, à propos du cadavre, et il rend ça passionnant ! Vraiment passionnant !"

2) Dialogue entre deux metteurs en scène apparemment spécialisés dans les auteurs d'Europe de l'Est : "Tu vois, Blumfeld c'est du Brecht mais avec une nuance de Maskovitz, la tradition des contes campagnards mais avec un travail sur la langue supplémentaire, davantage de travail sur la langue qu'avec Kardec... - Comme Milena Houstov ? - Exactement ! Mais en plus vivant, tu vois, libéré des lourdeurs qu'on peut trouver chez Börkel. - En somme, comme du Zladic mâtiné de Borj. - Je n'aurais pas su dire mieux !"

3) A la gare Saint-Lazare, un teckel passe et une petite fille de dix ans pousse un cri, s'effondrant sur la valise de son père. "'J'ai cru que c'était un tigre !"