La littérature sous caféine


lundi 15 janvier 2024

Cervantès 2024

Heureux d'avoir commencé mon année à Madrid. Ça tombe bien, je comptais mettre 2024 sous le signe de Cervantès, après avoir placé 2023 sous l'égide de Dante et de Céline. Depuis quelques temps je laisse ainsi respirer de grandes oeuvres en moi, me laissant la chance de les finir et de me les appropier. Sans ces marathons, j'aurais la sensation de courir après les chefs-d'œuvre, de les lire trop vite et de m'essouffler.

Marie, nouvelle Cybèle

Je me suis toujours demandé pourquoi Marie prenait une telle importance dans la religion catholique. Incarnation de la douceur, elle trône à côté de Dieu mais elle est Sa mère, après tout, et pourrait prétendre à un rang plus éminent. Dans les églises on croise désormais surtout des femmes, venues là pour adorer la Vierge davantage que son pauvre fils.

J'ai lu plusieurs livres à propos de la dévotion mariale mais c'est en allant à Madrid, tout en feuilletant Lucrèce, que je découvre un élément clé : l'adoration pour la Vierge aurait pour origine le culte de Cybèle, déesse mère chantée par les Phrygiens, les Grecs et les Romains. Une statue célèbre à Madrid représente celle-ci paradant sur son char menée par des lions. Au Prado, un superbe tableau de Rubens et du Brueghel de Velours dépeint la Vierge dans une couronne de fleurs, étonnant symbole de fécondité pour une Marie que l'on a connue plus humble...

"Divers peuples l'acclament selon le rite ancien
En criant"Mère idéenne" et lui donnent pour cortège
Des troupes de Phrygiens parce que la première
Au monde leur terre aurait produit les céréales."
Lucrèce, De natura rerum.

Le livre, vintage

A Madrid, je retrouve cette tendance des beaux hôtels à utiliser comme éléments de décoration de vieux livres de poche français. Mythification de la littérature ? Le vintage est un baiser de la mort... Pas l'impression qu'un seul client ait envie de feuilleter le moindre volume, alors que je les aurais bien tous dérobés, moi.

Râteliers

On m'avait annoncé un navet, je découvre avec le nouvel Aquaman un joyeux cocktail de Jules Verne (Nautilus, rétro futurisme, île mystérieuse...), de Lovecraft (créature inconcevable au-delà du temps), de Tolkien (arme mythique forgée pour le pouvoir), de geste arthurienne (le héros s'appelle Arthur et hérite d'un royaume malgré lui), de Star Wars (Jabba) et même de James Bond (l'attaque de la base fait penser à Dr No)... Hollywood mange à tous les râteliers mais on est tenté de lui pardonner.

Les taquins

La famille des romanciers taquins s’agrandit, taclant notre époque et ses dérives woke, mais pas seulement : sa mélancolie s’explique aussi par la déception que lui inspirent les milieux conservateurs et réactionnaires. C’est que la modernité est passée par là, et sa force corrodante. L’ironie tient lieu de morale. On dirait le goguenard Flaubert perdu chez Houellebecq.

Après Patrice Jean revenu de tout, Bruno Lafourcade corrosif sur l’Education nationale, Marin de Viry cinglant sur le tourisme et l’entreprise, Abel Quentin lucide sur la cancel culture, voici Fabrice Châtelain s’attaquant dans son deuxième roman, « Le mâle du siècle » (Intervalles, 2023) aux modes virilistes et à ceux qui s’en alarment. Les scènes de satire s’enchaînent avec efficacité, personne n’en sort indemne, surtout pas le pauvre héros, peinant par exemple à se faire ici une opinion sur la grande distribution :

« Son honnêteté intellectuelle prenant le dessus, il considéra qu’il valait tout de même mieux avoir le choix entre deux cent soixante biscuits chocolatés s’étalant sur des rayons interminables dans un hypermarché bondé que de se retrouver dans l’impossibilité de se procurer une bouteille de lait dans une épicerie, même si celle-ci était tenue par un type avec qui on pouvait parler de la pluie et du beau temps. »

mardi 9 janvier 2024

Débat chaud



Social-démocrate bon teint, mâtiné d'anarchiste (de droite ? de gauche ?), je me suis retrouvé cerné par les mélenchonistes sur le plateau de Paroles d'honneur - en coulisses, Houria Bouteldja. Je venais par ailleurs débattre d'un sujet controversé à droite comme à gauche, mal accepté, mal compris, mal assumé - la pauvreté blanche. Que je le veuille ou non, je représentais cette part de l'électorat qui peine à trouver sa place et qui s'attire tant d'animosité. La deuxième heure, je me suis tendu : on me faisait savoir que les participants du tchat s'énervaient contre moi. Heureusement, l'accueil sur le plateau est resté chaleureux. Mon voisin de gauche, Samir, m'a presque pris dans ses bras pour m'aider à passer ce mauvais moment. Tout d'un coup, j'ai mieux compris l'expression de "Blanc fragile". Et j'ai finalement apprécié de croiser la route de gens qui connaissent le prix de cette sorte de solidarité minimale, humaine, instinctive, entre citoyens parfois séparés par leurs idées mais soucieux de pouvoir en discuter et en rire.

lundi 8 janvier 2024

Milady, symétrique de Monte Cristo

A ma relecture des « Trois Mousquetaires », j’ai été déçu par la description du siège de La Rochelle. En revanche, j’ai été sidéré par le personnage de Milady, qui me paraît la figure inversée de Monte Cristo : elle n’est plus le génie du bien mais le génie du mal, consumée par une envie d’en découdre qui lui insuffle des moyens extraordinaires. Comme le Comte, elle est emprisonnée. Comme le Comte, elle s’en sort par des moyens sophistiqués qui confèrent aux chapitres en question, clou de la deuxième moitié du roman, une intensité particulière.

C’est dire comme j’attends avec impatience la sortie du deuxième volet au cinéma. Rendra-t-il vraiment justice à ces chapitres ? Sans parler de la mort de Milady elle-même… Moment bref mais marquant la clôture d’une belle montée de tension.

Quoi qu’il en soit, je suis heureux que vive le leg d’Alexandre Dumas. Je viens d’ailleurs de visiter sa maison d’enfance à deux pas de la Cité internationale de la langue française. Pas de trace de Milady dans cette modeste demeure, mais de beaux cartons sur les trois Alexandre de la famille, figures aussi romanesques que les personnages issus de leur infernale imagination

Villers-Cotterêts

Il paraît que l’Académie française a boudé l’inauguration de la très belle Cité internationale de la langue française, au prétexte qu’elle n’aurait pas été consultée… Les uns critiquent le projet pour son conservatisme, les autres pour son habillage politiquement correct – les cartons regorgent de « métissage », « langue-monde » et autres hybridations. Il est vrai que la question de la langue est plus politique qu’on ne l’imagine. Comment la dater ? Comment la faire évoluer sans la faire disparaître ? A l’arrivée, je suis heureux de découvrir une exposition de caractère et dans un sublime écrin d’architecture – je me représente mieux le Valois, cette région mythique pour la littérature, patrie d’Alexandre Dumas, lieu de rêve pour le tendre Nerval…