La littérature sous caféine


mercredi 4 mai 2022

"Un roman politique et puissant autour de l'assistance sexuelle"

Chronique de Laurence Biava sur Actualitté.com à propos de La Viveuse:

"De quoi s’agit-il ? Anaëlle, l’héroïne principale, est une fille d’aujourd’hui. C’est une aide-soignante qui exerce dans un hôpital de la banlieue parisienne. A la suite d’une sortie avec son compagnon, elle rencontre à un speed-dating un jeune invalide nommé Christian pour lequel elle ressent rapidement un vif désir. Sous l’influence d’un collègue de travail, Mathieu, infirmier, et quelque peu lassée de sa profession, elle débute une formation d’assistante sexuelle pour handicapés. Un jour, elle apprend que son père qui vit seul est atteint d’un cancer : ce motif suffit à motiver ses velléités de changement professionnel : elle décide alors de l’aider financièrement. C’est un enjeu de taille car Anaëlle ne prend-elle toutefois pas le risque de perdre ses proches quand ils vont apprendre ce qu’elle fait, c’est-à-dire ce qui est souvent pris pour de la prostitution ?

Aymeric Patricot s’empare merveilleusement bien de ce scénario très contemporain. C’est un vrai beau sujet qui dit une époque qui change, à un moment où on parle de plus en plus d’inclusion. Le titre est d’abord très beau, très imprégné, très original et il sied très bien à l’ouvrage et aux déambulations de l’héroïne. Les personnages féminins sont très construits.

Beaucoup de sentiments s’entrechoquent dès le début du livre où il est souvent question de mensonges et de jalousie (l’héroïne quelque peu aguicheuse et aventureuse se cherche, et confesse plus d’une fois à elle-même qu’elle se ment autant qu’elle ment à son compagnon qu’elle laisse sans nouvelles, Mme Puech, sa chef à l’hôpital est trompée par son compagnon, Mme Amparat la mère de Christian, Pauline, sa meilleure amie).

Au cours de ses turpitudes, le personnage d’Anaëlle, lui, démontre plusieurs choses : on distingue un intérêt financier pour cette nouvelle démarche professionnelle, un intérêt sensuel qui la fait avoir plusieurs aventures dans lesquelles il y a beaucoup d’humanité, (c’est facile pour elle, elle est jolie), et enfin, un intérêt spirituel, dans la mesure où elle cherche, ce faisant, autant à s’élever spirituellement, qu’à mener une quête existentielle toute personnelle, pour espérer trouver l’amour. Les personnages masculins sont eux aussi très bien croqués : les interventions du collègue Mathieu sont les plus pertinentes. Quant à la scène avec l’amoureux Christian qui vacille et implore sa mère sur une plage, elle m’a arraché des larmes.

Avec un certain soin, Aymeric Patricot mentionne souvent des différences de classe, d’environnements sociologiques épars. La bourgeoisie catho et le côté verni craquelé de Pauline se frotte à la couche ouvrière d’Anaëlle et de son père déprimé et en souffrance. C’est très intéressant. ll est très perceptible qu’en se livrant à une forme de sacerdoce et d’assistance sexuelle (et bienveillant, et charitable), l’héroïne veut non seulement enjoliver sa vie mais espérer fréquenter un autre milieu que celui de l’hôpital qui l’emploie en qualité d’aide-soignante.

Le texte est ponctué de très jolies épiphanies stylisées qui indiquent clairement dans quel état d’esprit se trouve Anaëlle à chaque fois qu’elle vit un événement nouveau. Ainsi, le lecteur ne perd rien de vue et plonge avec elle dans son histoire, la suivant à la trace.

La fin est assez dure quand le thème de la prostitution revient en filigrane appuyer la succession d’épreuves que l’héroïne subit de plein fouet : la trahison de la meilleure amie, le père qui comprend les choses à l’envers, l’assistance sexuelle littéralement déformée dans ses grandes largeurs et donc incomprise, voire dévoyée, le fait que la mère de Christian l’handicapé se débrouille pour provoquer une rupture sentimentale entre les deux héros, le terrible imbroglio depuis le séminaire et l’annonce faite par Jacques, la rupture du contrat professionnel à l’hôpital : mais Anaëlle parvient magnifiquement à surmonter tout cela avec une force assez extraordinaire.

Pour tous les sujets qu’il aborde avec beaucoup de justesse et d’esprit, du handicap à l’accompagnement de la vie intime, du sentiment amoureux à la recherche intrinsèque de ce que l’on possède en soi, La viveuse est un roman à lire. Un livre politique et puissant. Bravo à l’auteur."

lundi 2 mai 2022

L'avaleur de rasoirs (Contes noirs du Paris moderne, 1.6)



Devant Beaubourg, Jules épate les touristes avec un numéro d'avaleur de rasoirs moins innocent qu'il n'y paraît...

Dernier épisode de la première saison des Contes noirs du Paris moderne.

jeudi 14 avril 2022

Handiglam (La Viveuse, films connexes 2)

Ce qui est fascinant avec Hollywood, c’est qu’elle parvient à tout rendre glamour, le thème de l’assistance sexuelle pas moins que le reste : The Sessions (Ben Lewis, 2012) est l’un de très rares films abordant frontalement le sujet, et tout y est joli, sympathique, drôle et sensuel. La prostituée se montre intelligente et séduisante, son mari ne trouve rien à redire à son travail, le client fait mouche pas sa repartie, tout le monde lui rend hommage à la fin pour son humanité. Le film est une sorte de gros bonbon à peine acidulé, tout juste ce qu’il fallait pour faire passer la pilule. Sans doute avait-on besoin de cette prudence et de cette efficacité pour déflorer le sujet.

mercredi 13 avril 2022

Qui donc a sacrifié Samuel Paty ?

Difficile de ne pas avoir le cœur serré quand on lit « J’ai exécuté un chien de l’enfer » (Le cherche midi, 2021). Avec un imparable sang-froid (il en faut !), David Di Nota dresse la liste des responsables : la barbarie des criminels, bien sûr ; un peu la maladresse de Paty (pas pour les raisons que l’on dit) ; certaines valeurs de l’époque, comme celle du « respect » qui consiste en fait à se soumettre aux susceptibilités ; mais aussi l’incroyable impudence d’une administration qui se félicite d’avoir accompagné jusqu’au bout le professeur (on croit rêver) et qui se promet d’être à l’avenir « toujours plus efficace ». Elle a pourtant prêté une oreille complaisante aux accusateurs de Paty, forts des principes de cette fameuse « école de la confiance » qui, loin de protéger le professeur, le place sous le regard potentiellement accusateur de l’élève. Le point de vue de Di Nota est clair : Samuel Paty a été sacrifié sur l’autel du « Pas de vague ». Que l’administration s’en lave les mains soulève le cœur. Est-elle seulement consciente de sa forfaiture ?

mardi 12 avril 2022

N'oublions pas les Gilets jaunes !

Avec « La Fièvre » d’Aude Lancelin (Les liens qui libèrent, 2020), je pensais lire un compte-rendu factuel, légèrement romancé, de la crise des Gilets jaunes, et je tombe sur un véritable brûlot, satire acérée non seulement de la bourgeoisie parisienne, mais de ces milieux de gauche radicale qui se targuent de subversion tout en exprimant du dédain vis-à-vis des loqueteux qu’ils sont censés défendre. Ce roman, meilleur livre qu’il m’ait été donné de lire à propos des Gilets jaunes, notamment parce qu’il égrène une série de portraits bien troussés, souvent mordants, propose une vision étonnamment proche de celle que je déployais dans « La révolte des Gaulois » (Léo Scheer, 2020), à la différence peut-être que nous n’avons pas le même degré d’optimisme vis-à-vis d’une éventuelle convergence campagne / banlieue.

Pas étonnant, finalement, qu’Aude Lancelin ait été la première journaliste de gauche à parler des « Petits Blancs » en 2013. Comme elle, je suis sensible au mépris que s’attirent les gens de peu de la part de personnalités qui, politiquement, prétendent parler en leur nom – après tout, c’est ce genre de contradiction qui a toujours aiguillonné mon écriture.

« Le pape de Nanterre avait commencé à trouver la parade au silence dont il ne savait plus comment sortir depuis des semaines. Avouer à demi-mot ses atermoiements et mettre cet attentisme sur le compte d’une espèce de grandeur d’âme qui lui interdisait, en tant que grand Blanc universitaire, de rejoindre les petits Blancs d’en face, par peur de trahir les anciens colonisés. Voilà à vrai dire tout ce que son cerveau en surchauffe avait réussi à mettre au point en rejoignant à pied la soirée de Ménilmontant. » (p 93).

mercredi 6 avril 2022

Lundi 28 mars au Flore







mercredi 23 mars 2022

Résumer l'existence en dix lignes

Dans « Les Misérables » et dans « anéantir », on trouve deux passages étrangement proches, deux tentatives de résumer l’existence en dix lignes. Hugo ramène tout à des questions d’ombre et de lumière, Houellebecq préfère le point de vue administratif et médical. Le plus drôle, c’est que ces hyper-condensés prennent place dans de très vastes romans.

« Toutes choses de la vie sont perpétuellement en fuite devant nous. Les obscurcissements et les clartés s’entremêlent. Après un éblouissement, une éclipse ; on regarde, on se hâte, on tend les mains pour saisir ce qui passe ; chaque événement est un tournant de la route ; et tout à coup on est vieux. On sent comme une secousse, tout est noir, on distingue une porte obscure, ce sombre cheval de la vie qui vous traînait s’arrête, et l’on voit quelqu’un de voilé et d’inconnu qui le dételle dans les ténèbres » (« Les Misérables », I, 7, 5)

« La vie humaine est constituée d’une succession de difficultés administratives et techniques, entrecoupée par des problèmes médicaux ; l’âge venant, les aspects médicaux prennent le dessus. La vie change alors de nature, et se met à ressembler à une course de haies : des examens médicaux de plus en plus fréquents et variés scrutent l’état de vos organes. Ils concluent que la situation est normale, ou du moins acceptable, jusqu’à ce que l’un d’entre eux rende un verdict différent. La vie change alors de nature une seconde fois, pour devenir un parcours plus ou moins long et douloureux vers la mort. » (« anéantir », p 272).

mercredi 16 mars 2022

Les points de rupture

A quelle profondeur ausculter la folie ? Les romanciers ont toujours maille à partir avec les dilemmes, mais ils choisissent des sujets plus ou moins douloureux, des points de bascule plus ou moins radicaux. Dans une majorité de mes romans, j’ai mis en scène la violence. Dans le dernier en date, La Viveuse, je braque mon attention vers les physiques blessés et la figure controversée de la prostituée. Immanquablement, je m’attire des réactions du type : « Mais pourquoi donc écrire là-dessus ? », à quoi je réponds : « Pourquoi pas ? », suivi de : « C’est le rôle de la littérature, après tout, de s’intéresser à ce qu’on ignore habituellement. »

Parfois, je croise d’autres romanciers qui font ce pari du thème radical traité de manière classique, c’est-à-dire avec une prose limpide et sage, et je pense par exemple à Sophie de Baere dont le dernier roman, « Les ailes collées » (JC Lattès, 2022), représente une étonnante réussite. On croit entrer dans un univers policé de sentiments romantiques et d’intrigues familiales, on tombe bientôt dans une redoutable histoire de sexualités cachées, de harcèlement et de meurtre, le tout servi par un style sonore et maîtrisé. Peut-être faut-il de la mesure et même une forme de délicatesse pour approcher les points de rupture les plus fous ?