La littérature sous caféine


samedi 24 septembre 2011

Charles est vide, Gustave est plein (Flaubert à Belle-Ile)



Le meilleur livre que j’aie pu lire de Flaubert, celui qui m’aura du moins donné le sentiment le plus vif de son talent, c’est un tout petit livre, à peine un livre, un extrait de son volume Par les champs et par les grèves, publié sous le titre Belle-Isle aux éditions Coop Breizh, quarante pages dans lesquelles il raconte un court séjour dans l’île bretonne avec son ami Maxime Du Camp.

Rien que de très simple, pourtant : portrait épique d’un postier, récit d’une promenade dans la campagne et sur les côtes de l’île, description rapide du port de Palais… Mais le trait est vif, voire sarcastique, le lyrisme robuste, la phrase précise, enjouée, le vocabulaire riche et scintillant, comme dans ce passage enthousiaste :

« Nous nous roulions l’esprit dans la profusion de ces splendeurs, nous en repaissions nos yeux ; nous en écartions les narines, nous en ouvrions les oreilles ; quelque chose de la vie des éléments émanant d’eux-mêmes, sous l’attraction de nos regards, arrivait jusqu’à nous, s’y assimilant, faisait que nous les comprenions dans un rapport moins éloigné, que nous les sentions plus avant, grâce à cette union plus complexe. A force de nous en pénétrer, d’y entrer, nous devenions nature aussi, nous sentions qu’elle gagnait sur nous et nous en avions une joie démesurée ; nous aurions voulu nous y perdre, être pris par elle ou l’emporter en nous. Ainsi que dans les transports de l’amour, on souhaite plus de mains pour palper, plus de lèvres pour baiser, plus d’yeux pour voir, plus d’âme pour aimer, nous étalant sur la nature dans un ébattement plein de délires et de joies (…) » (Flaubert, Belle-Isle, page 32).

On est à mille lieux, je trouve, du vide existentiel de L’Education Sentimentale ou de Madame Bovary, de leurs formules glaçantes, de leurs atmosphères d’échecs existentiels, de ces passages cinglants où Frédéric Moreau, par exemple, au début de L’Education Sentimentale, … lance à Madame Arnoux un regard où il tâche de mettre toute son âme, sans même qu’elle le remarque. Ou lorsqu’au dénouement de Madame Bovary le médecin pratiquant l’autopsie de Charles déclare ne rien trouver du tout – le narrateur suggérant qu’on n’y a pas trouvé de poison, mais laissant entendre que Charles a toujours été vide, au fond. Flaubert n’est pas vide, lui, dans Belle-Isle. Il est plein d’une conscience aigüe des plaisirs naturels, des ridicules et des beautés de ses contemporains.

jeudi 15 septembre 2011

Qu'est-ce qu'un roman français "à l'américaine" ? (Kerangal, Pataut)


Maylis de Kerangal - Naissance d'un pont... par Mediapart

On lit souvent des articles claironnant la fin d’un certain intimisme à la française, d’un minimalisme consistant à parler, par phrases courtes, de sa propre histoire. On a ainsi présenté le roman de Maylis de Kerangal, l’année dernière, Naissance d’un pont, comme appartenant à cette nouvelle veine de la fiction française qui, s’inspirant des ambitions américaines, prendrait à bras le corps la réalité.

Les qualités stylistiques du livre de Kerangal sont indéniables (j’avais déjà beaucoup aimé Ni Fleurs ni Couronnes), mais je trouve étrange qu’on le compare à ce qui se pratique couramment dans la littérature américaine. Il me semble que son projet reste en fait très français (ce n’est qui n’est pas péjoratif). Cette idée de mettre en scène la véritable épopée que constitue la construction d’un pont, dans un endroit imaginaire (bien que situé en Californie), et dans un style hautement lyrique, relève à mes yeux d’un exercice de style certes brillant, mais loin de l’appétit de réalisme qui se donne si souvent à lire chez les Américains. Kerangal a l’ambition des anglo-saxons, sans avoir leur souci de l’ancrage historique. En fin de compte, ses précédents livres me semblaient bien plus américains, de ce point de vue.

Le dernier roman de Fabrice Pataut, tout juste sorti chez Pierre-Guillaume de Roux, Reconquêtes, me semble plus directement inspiré de ce qui se fait en général de l’autre côté de l’Atlantique. L’intrigue, notamment, me fait penser à DeLillo – même si la mélancolie de Pataut n’a pas grand-chose à voir avec les froids développements, presque inhumains, de l’auteur new-yorkais. L’intrigue propose un point de départ intriguant : en Californie (décidément), les journaux révèlent qu’une femme cherche à ce que sa propriété reconstitue fidèlement les contours du territoire américain, et cela provoque un curieux emballement médiatique en ces temps de guerre en Irak. Plusieurs personnages, côtoyant cette femme de près ou de loin, chercheront à mettre à jour ses motivations.

Atmosphères de secrets politiques, lentes recherches existentielles… Je me souviens que DeLillo, dans Outremonde, décrivait la recherche obstinée menée par un grand nombre de personnages d’une balle de baseball mythique, disparue après le match, une balle de base-ball de la taille exacte d’un noyau de bombe atomique… C’était une bien curieuse histoire, mais riches de suggestions politico-métaphysiques (exactement le genre de pitch peu séduisant sur le papier, mais passionnant à lire chez DeLillo).

Pataut emboîte le pas de son homologue new yorkais pour investir, lui, le territoire californien, et le semer de ces destinées mélancoliques à souhait, gracieuses, comme dans ce beau passage où Dorothy, la propriétaire autour de laquelle gravitent les autres personnages, rêve langoureusement à son absence de descendance :

« Le soir venait doucement à elle, la saveur sucrée se promenait partout, jusque sur ses dents. Ses pieds quittèrent l’oreiller et glissèrent d’eux-mêmes sous la couverture. Vladimir aurait pu être là avec un bol de fruits rouges fraîchement cueillis et un verre de vin de Napa. Ils auraient pu être assis dans son jardin, et la couverture aurait pendu de chaque côté de ses jambes. Dorothée – elle s’efforça de prononcer le th à la française – les aurait posées sur ses genoux. Ils auraient bu ce vin doux, respiré les fleurs de l’été et levé la tête vers la cime immobile des arbres. Ils auraient ri d’être seuls au monde : trop vieux pour avoir encore leurs parents, bien trop égoïstes pour avoir fait des enfants. Rien que des amis pour entourage, des adultes qu’ils auraient choisis, et la certitude que leur vie avait pris une direction qui excluait le lavage de vêtements déchirés et les soucis scolaires. »

(Fabrice Pataut, Reconquêtes, page 316)

samedi 10 septembre 2011

La misogynie vieillit mal (Montherlant, Les jeunes filles)



On m’a dit, plusieurs fois, que ce premier volume de la série romanesque de Montherlant, Les Jeunes filles (le premier volume donnant son titre à la série), n’était pas le meilleur, qu’il fallait lire l’ensemble des quatre romans, et surtout ne pas se laisser impressionner par son apparente misogynie, car elle s’inscrivait dans une misanthropie plus générale.

Il est cependant difficile de le croire vraiment tant le narrateur de ce premier volume (volume qui a d’ailleurs remporté un succès considérable à l’époque) méprise ouvertement les femmes, et cela avec une constance, une morgue, un esprit de sérieux, un esprit de système, même, qui peuvent devenir lassant. Ce narrateur est un auteur adulé, mais fatigué par les lettres de femmes qui l’admirent et qui s’offrent à lui. Il refuse de répondre à la plupart des courriers, mais il s’abaisse à le faire, de temps en temps, et même à rencontrer ces femmes auxquelles il accorde, parfois, mais rarement, de coucher avec elles (encore que ça n’ait pas l’air de le réjouir, ni de lui réussir vraiment).

Certes, le narrateur, Costals, n’est pas l’auteur - Montherlant tient à le préciser en préambule. Et je ne suis pas du genre à instruire le procès d’écrivains au nom du politiquement correct, l’auteur ayant à mon avis à peu près tous les droits pour peu qu’il s’agisse de fiction. Mais la détestation des femmes est ici tellement obsessionnelle, et le narrateur ressemble tellement à l’auteur (par sa position d’écrivain reconnu, par son sens de l’honneur et de la droiture) qu’il est inévitable d’en être un gêné.

« Un jour, Costals lui avait dit :
- Si j’avais eu le malheur d’avoir une fille, j’aurais eu le feu au derrière tant qu’elle n’aurait pas été casée, et plus encore si elle n’avait pas eu de fortune. Les parents sont bien fiers d’avoir produit un lardon, et le trompettent à tous les vents, mais lorsqu’il s’agit de l’élever avec un peu d’intelligence, adieu.
» (Le livre de poche, page 66)

Le livre n’est pas si vieux, pourtant – 1936. Et il y a quelque chose de très étrange à constater que le narrateur tient les différences hommes-femmes pour des différences de nature, parfaitement susceptibles d’être circonscrites dans quelque belle page d’analyse psycho-naturaliste. De normes sociales, d’Histoire, de situation, comme dirait Sartre, il n’en est pas question. Certes, il y a des féministes aujourd’hui pour clamer à nouveau l’existence de natures masculine et féminine, nettement marquées. Mais je ne suis pas certain que cela soit une avancée…

J’ai beaucoup de plaisir, pourtant, à disserter pendant des heures sur les différences de comportement entre les hommes et les femmes. Et il y a des misogynies qui m’amusent, chez certains écrivains – les pointes de Houellebecq contre les féministes, par exemple, ont de quoi faire sourire. Mais celle de Montherlant m’a semblé grossière, en fin de compte.

« Voyons, ma chère, voyons ! Calmez-vous ! Si les femmes savaient tout ce qu’elles perdent avec leurs pleurnicheries ! Il faut qu’un homme soit un saint pour, les voyant blessées, ne pas avoir envie de les blesser davantage. Mais je suis ce saint. Bien que… Une femme doit sans cesse être éclairée (je veux dire : il faut qu’on soit toujours à lui expliquer quelque chose), éclairée, ménagée, consolée, dorlotée, apaisée. Je n’ai pas, à vrai dire, cette vocation de garde-malade, ou de manutentionnaire en caisses de porcelaine. » (page 95)

Mes réserves concernant ce livre tiennent aussi au fait que je n’y ai pas trouvé la beauté stylistique qu’on m’y avait promise. Montherlant écrit bien, mais ses propos sont si tranchés qu’ils ont quelque chose d’insatisfaisant. On est loin de la riche sensualité d’une Colette, de la souplesse et des nuances d’Aragon. Lui aussi préférait les jeunes garçons ! Mais il parlait des femmes avec une sorte de grâce langoureuse à côté de laquelle les postures hiératiques de Montherlant me semblent assez ridicules.

« Plus tard, elle avait longtemps collaboré à la petite correspondance des journaux de modes, qui est pour les jeunes filles un ersatz d’homme, comme le chienchien est pour les femmes un ersatz d’enfant. Cette correspondance avait cessé quand elle s’était mise à écrire à Costals. » (page 62)

Quant aux passages tenus pour misanthrope, censés rattraper la misogynie, en quelque sorte, ils sont aussi réducteurs que le reste et je ne trouve pas que le passage suivant, par exemple, soit particulièrement fin, ni particulièrement réjouissant pour le lecteur (il s’agit de la satire d’un public d’opéra, certes assez bien vue, mais pas follement originale) :

« Des porcs à binocle feignaient que le moindre chuchotement dans la salle leur gâchât leur extase. Des porcs à lunettes se penchaient vers leur lardonne (car on voyait dans la salle des enfants de six ans, amenés là sans doute en punition de quelques fautes très grave), pour lui signaler tel passage sacrosaint, afin qu’elle sût une bonne fois que c’était là qu’il fallait être émue. Beaucoup de femmes, comme la voisine de Solange, pensaient qu’il serait inconvenant de se tenir ici autrement que les yeux fermés. » (page 196)

Une déception, en somme. Le théâtre de Montherlant m’avait intéressé, à défaut de me séduire. Ses Jeunes Filles me paraissent terriblement vieillies, terriblement guindées… Simone de Beauvoir s’était fait un malin plaisir, dans Le Deuxième Sexe, de relever toute une série de phrases terriblement misogynes chez Balzac, Nietzsche ou d’autres… Nul doute qu’elle aurait fait son miel de ce roman (mais peut-être l’a-t-elle fait), par exemple avec ces quelques sentences :

« La femme est faite pour un homme, l’homme est fait pour la vie, et notamment pour toutes les femmes. La femme est faite pour être arrivée, et rivée ; l’homme est fait pour entreprendre, et se détacher : elle commence à aimer, quand, lui, il a fini ; on parle d’allumeuses, que ne parle-t-on plus souvent d’allumeurs ! » (page 147)

Restent quelques belles digressions d’analyse psychologique, et notamment celle-ci sur le bonheur (étendue sur dix pages) :

« Ce qu’il y a de plus frappant dans la conception que l’homme – le mâle – se fait du bonheur, c’est que cette conception n’existe pas. Il y a, d’Alain, un livre intitulé : Propos sur le bonheur. Mais, à aucun endroit de ce livre, il n’est question du bonheur. Cela est tout à fait significatif. La plupart des hommes n’ont pas de conception du bonheur. (…) La femme, au contraire, se fait une idée positive du bonheur. C’est que, si l’homme est plus agité, la femme est plus vivante. (…) Cette idée positive que les femmes se font du bonheur, et cette exigence qu’elles ont vis-à-vis de lui, viennent sans doute de l’état d’insatisfaction qui est leur loi. » (page 142)

Je me suis moi-même souvent demandé comment je pouvais passer d’une conception négative du bonheur (l’absence de malheur) à une conception substantielle (le bonheur se mesure, se ressent…). Mais je n’aurais pas eu l’idée d’en faire une question de différence des sexes…

mardi 6 septembre 2011

Quatre Républicains dans un avion



Pour ouvrir la saison 5 de ce blog, et avant de parler littérature, je vous livre ce compte-rendu de deux conversations particulièrement saisissantes tenues cet été, dans l’aéroport chinois de Canton, alors que j’attendais, pendant seize heures, mon vol en direction du Vietnam – un bien curieux aéroport où le moindre café coûtait 10 dollars.

Ce fut la seule fois pendant ce voyage où j’entendis parler de la France, de la part de personnes n’y habitant pas, et j’ai été frappé par les fantasmes que ce pays génère et par la similitude de ces fantasmes chez des gens pourtant très différents. Je reproduis ces conversations sans faire commentaire.

La première, très brève, avec un Français en transit vers l’Australie.

« Vous vivez là-bas ?
– Oh oui, Sydney ! Franchement, la France, c’est plus possible… Ma femme a eu peur en voyant Paris. Il faut la comprendre, elle est australienne… Les Halles, Barbès, tout ça… L’horreur ! C’est plus Paris, c’est le Maghreb. En Province, ça va encore… Y’a encore des coins tranquilles. Mais Paris, c’est foutu… La France, c’est foutu. C’est trop tard, maintenant. Il faut partir, pendant qu’il est encore temps.
– Diriez-vous que vous êtes raciste ?
– Raciste ? Oui, bien sûr ! C’est naturel, d’être raciste ! J’en suis fier ! Quoi de plus normal ? »

J’ai laissé cet homme rejoindre son terminal, entamant alors une seconde conversation avec un groupe de quatre Américains, cette fois-ci, deux couples de septuagénaires et de quadragénaires, qui attendaient avec moi leur avion vers le Vietnam. Le premier homme se disait détective à la retraite (spécialisé dans les preuves de prostitution, à New York), le second ingénieur chez AT/T.

« Vous êtes français ? Oh, merveilleux ! C’est un si beau pays, la France… Mais si cher ! Dites-nous, nous aimerions avoir votre sentiment sur ce qui se passe dans votre pays… Il y a quelque chose qui nous inquiète beaucoup, voyez-vous. Nous en entendons souvent parler, chez nous. Il s’agit de nombre grandissant de Musulmans en Europe. Nous avons très peur qu’ils prennent le pouvoir. En fait, c’est inéluctable. Ils sont déjà si nombreux, ils font beaucoup plus d’enfants que nous… Vous auriez dû réagir plus tôt. Il y a quinze ans. Mais c’est trop tard, et nous avons vraiment peur… S’ils prenaient le pouvoir en Europe, ça nous ferait des alliés en moins, vous comprenez. Ce n’est pas un problème racial (nous sommes passés à une époque post-raciale), c’est vraiment un problème de religion, car l’Islam a des ambitions politiques.

– Je ne pense pas que l’Islam prendra le pouvoir en Europe. Ce n’est pas quelque chose que nous craignons, chez nous.

– Vous devriez, peut-être…

- Vous dites ça, mais le multiculturalisme est une notion que l’Europe importe des Etats-Unis. Vous me dites craindre l’Islam, mais Obama fait souvent pression sur l’Europe pour qu’elle soit plus libérale en termes de religion.

– Oh, vous savez, nous détestons Obama ! C’est une pure création du Parti Démocrate. Par exemple, il n’y a aucune preuve qu’il ait effectivement suivi des cours à l’Université. Personne n’est en mesure de produire le moindre document là-dessus.

– J’ai lu son livre, Les mémoires de mon père… Une belle autobiographie ! Et puis il est bon orateur, non ?

– Son livre, il ne l’a pas écrit. Vous savez pourquoi ? Ses livres sont écrits de façons si différentes qu’il s’agit d’une plume différente à chaque fois, c’est évident. Quant à ses talents d’orateur, ils sont plus que discutables. Il n’est bon qu’avec un prompteur, en fait.

« Pour tout vous dire, nous pensons que le niveau général est en baisse… La presse aux Etats-Unis verse complètement dans le politiquement correct car elle est aux mains de quelques groupes financiers. Il n’y a plus de réelle démocratie, aujourd’hui. Tout est maîtrisé par des gens comme George Soros, qui n’est d’ailleurs pas pour rien dans l’ascension d’Obama.

« Ce que nous reprochons surtout à Obama, c’est de faire des Etats-Unis un pays socialiste. Par petites touches, il modifie profondément notre Nation. Nous devenons un pays d’assistés ! Aujourd’hui, vous avez droit à 99 semaines d’indemnités chômage. 99 semaines ! C’est absurde ! Et la moitié de la population ne paie pas d’impôts. Notre Amérique à nous, celle à laquelle nous croyons, c’est celle de l’initiative individuelle, la foi dans l’action, l’incitation à agir, à créer grâce à la récompense de l’argent. Les USA, ce sont les libertés individuelles.

« Regardez ces deux Chinoises, par exemple, qui tiennent ce restaurant. Elles attendent le client. Aux Etats-Unis, nous serions déjà en train d’aller vers le client potentiel pour l’inciter à venir dans notre établissement !

« On entend des choses terribles, sur la France… Il paraît que dans la rue les enfants avec une kippa sont poursuivis et frappés par de jeunes Musulmans. Le problème des Musulmans, c’est qu’ils n’acceptent pas de côtoyer des gens différents. Si tu veux qu’on te respecte, alors respecte-moi… Il faut affirmer son identité. C’est une chose qui existe, l’identité, il faut la défendre, ne pas la laisser se faire grignoter. En Irsaël, par exemple, la paix est assurée par une défense extérieure perpétuelle. Si celle-ci tombait, vous savez, Israël serait immédiatement détruite… On déteste aussi Obama pour ça : il avait promis de soutenir Israël mais il a préféré défendre la Palestine… »

Nous en sommes restés là. Ce sont les deux seules conversations du voyage que j’ai cru bon mettre sur papier – les seules vraiment spectaculaires, en fait. Après, je me suis laissé porter par la beauté de Ha Long ou le charme du vieil Hanoï…

vendredi 8 juillet 2011

Cloture de la revue de presse ?


Marin de Viry - La littérature française... par college-des-bernardins

Pour clore cette saison 2010-2011, et avant de laisser ce blog en friche pendant deux mois, je reproduis ici quelques extraits du bel article de Marin de Viry (cinq pages), à propos d'Autoportrait du professeur..., dans la Revue des Deux Mondes de cet été :

"Education Nationale : Il faudrait peut-être que quelqu'un fasse quelque chose.

Aymeric Patricot fut d'abord un petit bolide scolaire - HEC, agrégation de lettres modernes - puis devint professeur et enseigna trois ans durant les lettres dans des quartiers "difficiles", doux euphémisme qui désigne ces territoires français aussi dévastés qu'abandonnés. Cet Autoportrait n'est toutefois pas un de ces nombreux ouvrages, à la fois respectables et déprimants, analysant le choc culturel puis psychique ressenti par des professeurs pétris des trésors de la tradition littéraire, brutalement mis face à une salle de sauvageons. Le récit de Patricot relève en effet moins de l'exercice égotiste que d'une réflexion sur les ressorts de l'éducation des classes paupérisées. C'est un bilan prospectif bourré d'intelligence et de sensibilité, dénué de préjugés comme d'illusions lyriques, aussi éloigné du cynisme que de l'irénisme. Je l'ai lu comme un excellent livre politique sur l'éducation, qui allie une grande capacité polémique à un calme charisme de sympathie.

(...) Patricot pointe l'écrasante responsabilité des politiques. Le fatalisme est une politique, le fatalisme est un pouvoir, et il a naturellement des conséquences en chaîne, comme une politique volontariste en aurait. Il faut aimer les conséquences des causes que l'on veut : ne rien faire, c'est lâcher dans la nature des élèves qui deviendront, sous une forme ou une autre, des ennemis de la société.

Cet ouvrage très sain propose aussi une belle réflexion sur l'identité française. Celle du narrateur a été bousculée face à ces classes de jeunes gens très majoritairement noirs de peau, ou d'origine familiale maghrébine. Il médite sur son réflexe identitaire, consistant à coller à ses origines régionales par réaction, ne se satisfait pas ce mezzo termine, cherche une définition de la France compatible avec ce qu'il voit, et finit par s'en tirer par le haut, en appelant à la rescousse son métier qu'il aime, et sa mission pédagogique à remplir. Au fond, se dit-il, les gamins, ils sont en face de lui, ils sont un morceau de la France de demain. C'est comme ça et c'est bien comme ça.

Cela m'a rappelé soeur Emmanuelle voyant arriver de nouveaux enfants pauvres dans son refuge du Caire, s'écriant : "Remercions le Seigner de nous donner toutes ces occasions d'aimer !"

Il faut aimer avoir les bras chargés, par les temps qui courent
."

Plusieurs site et blogs ont également parlé du livre depuis sa sortie.

La terrible Wrath, qui s'est fait une spécialité de la dénonciation des petits arrangements entre amis dans le milieu des lettres, n'a pas lu le livre mais s'intéresse ICI au jeu des passages d'un éditeur à l'autre.

Le site AutreMonde fait un compte-rendu assez complet du livre, ICI , expliquant combien la démarche est salutaire tout en taclant légèrement l'auteur sur un certain esprit de renoncement.

Le Blog de Morlino déclare vouloir voter pour moi si je me présentais à la présidentielle ICI.

Joli compte-rendu, également, sur le site VOUSNOUSILS.

Ainsi que sur le site My Boox, par Lauren Malka.

Bel article, enfin, d'Ariane Charton sur son blog Les Ames sensibles, à lire LA.

lundi 4 juillet 2011

Comment dire la vérité peut détruire une famille (Le chagrin, Lionel Duroy)



Le narrateur du Chagrin ne s’appelle pas Lionel Duroy, mais on comprend vite tout ce qu’il doit à l’auteur. Celui-ci transpose dans ce long roman l’histoire de sa propre famille, telle qu’il l’a vécue lui-même et telle qu’il l’a finalement influencée : car il annonce dès les premiers chapitres que son projet de mettre sur papier ses souffrances d’enfant ballotté dans une famille déstructurée (la mère, très dure, fait payer à ses enfants l’inconséquence d’un père courant après les petits métiers pour rembourser les dettes), lui vaudra une rancœur tenace de la part de ses frères et sœurs, qui ne lui pardonneront jamais d’avoir exposé au grand public de telles blessures.

A la douleur d’avoir vu sa propre enfance fracassée par la misère et le désamour, s’ajoute donc pour Duroy celle de voir ses proches s’éloigner de lui parce qu’il a eu le malheur, non pas d’exagérer ou de déformer la vérité, mais de la dire.

Il ne règle pourtant pas de compte avec sa famille. Il se contente de raconter par le menu les difficultés qu’ils ont traversées, et le livre vaut moins pour le récit, touchant et fort, des aléas familiaux, que pour l’approche de ce mystère douloureux : pourquoi donc exposer la vérité peut-il vous valoir des haines si tenaces ? Pourquoi en vouloir davantage à celui qui parle qu’à celui qui commet des infamies ?

Duroy n’apporte pas de réponse, il se contente de donner la pleine mesure du désastre. Et si le style du livre n’est pas très ambitieux, l’émotion est palpable. C’est un long livre, un très long livre, mais il se lit avec autant de passion qu’on en met à l’écoute des confidences d’un bon ami.

« Bonjour, mon petit, dit-elle. Je t’attendais.
Notre mère tremble légèrement en m’embrassant.
- Maman, je suis venu te voir pour te dire que je vais publier un livre.
- Ah.
- Je voudrais t’expliquer une chose : quand j’étais enfant, puis adolescent, j’ai tout supporté de toi. Je n’avais pas vraiment les moyens de me protéger, ni de me défendre, et papa ne nous a pas beaucoup aidés de ce point de vue. Ca n’a pas été facile, je suppose que tu t’en souviens. Aujourd’hui que je suis un homme, tout cela pèse sur ma vie, et ce livre est salvateur pour moi. Je sais qu’il n’est pas agréable pour toi, c’est un euphémisme, mais je te demande de le supporter comme je t’ai supportée, toi.
- Tes frères et sœurs m’ont dit que c’était une mise à mort.
- C’est en tout cas ce que je retiens de notre enfance. Je pensais qu’ils s’y reconnaîtraient, mais je me suis trompé, alors je vais dire : c’est ce que je retiens de mon enfance. Tu ne le sais pas, je ne te l’ai jamais dit, mais j’essaie d’écrire ce livre depuis bientôt dix ans. Qu’il existe enfin est une victoire pour moi, sur toute la merde dans laquelle nous avons grandi, pardon, dans laquelle j’ai grandi. C’est sans doute idiot, mais je me sens moins abattu et moins humilié maintenant que ce livre est là. Peut-être que je vais pouvoir regarder le monde différemment, je ne sais pas.
- Au prix de notre humiliation. Il paraît que tu nous traînes dans la boue…
- Tu sais, mon vieux, intervient Toto, je ne crois pas que la vengeance ait jamais guéri qui que ce soit de quoi que ce soit.
Il se mord le gras du pouce, tandis que notre mère, les bras croisés, retient l’envie de me sauter au visage, de m’insulter peut-être, parce qu’elle a compris que je n’allais pas céder.
- Réfléchis bien avant de commettre l’irréparable, reprend Toto.
- J’ai bien réfléchi.
- Eh bien en ce cas, mon petit, fais comme tu l’entends, décrète notre mère en se levant.
- Oui, c’est ce que je vais faire. Au revoir, maman.
- Adieu, mon petit.
- Salut, mon vieux. Je ne te dis pas…
- Non, j’ai compris quelle est votre position, papa. Je voulais simplement vous expliquer la mienne.
»

(Le chagrin, Livre de Poche, page 640)

Le terme d’autofiction tombe en désuétude, aujourd’hui, mais je trouve qu’il convient particulièrement bien à ce que réalise Lionel Duroy : l’expérience sur sa propre vie menée par la fiction, dans le sens où les livres rendent compte d’une expérience et métamorphosent à leur tour l’existence de l’auteur. Dans le cas de Duroy, il s’agirait d’une sorte d’autofiction sacrificielle…

dimanche 26 juin 2011

Le Jeudi du Luxembourg et Libération

Dans Libération du 25 juin, Michka Assayas raconte sa semaine et titre, pour le lundi, "Au coeur du mal français". On y lit :

Quand j'entends la plupart de mes compatriotes s'adresser en anglais au réceptionniste d'un hôtel à l'étranger, je suis partagé entre la honte et le fou rire. (...) Je suis sûr qu'au moins 50% des candidats au bac n'ont rien compris. Une bonne partie du reste a dû errer dans le brouillard. Pourquoi ce niveau irréaliste ? Pourquoi les humilier ? On est au coeur du mal français : idéalisme et déni de la réalité (c'est pareil). Un jeune écrivain et enseignant, Aymeric Patricot, a écrit là-dessus un livre d'une grande intelligence et surtout d'une rare franchise, drôle en plus, Autoportrait du professeur en territoire difficile.

Bel article de Stéphanie Hochet, dans Le Jeudi du Luxembourg :

Les yeux ouverts sur la banlieue

Après dix ans d'enseignement dans des lycées de la banlieue parisienne, Aymeric Patricot a éprouvé le besoin de faire le point sur son expérience, réfléchir sur le métier de professeur. Originaire d'une ville ouvrière, sans histoires et formé comme tous les jeunes titulaires du Capes (certificat d'aptitude professionnelle à l'enseignement secondaire), il ne s'était pas attendu à rencontrer de telles difficultés en occupant ses premiers postes – à l'époque, il remplaçait des enseignantes parties en congé maternité et des professeurs absents pour cause de dépression.

Que demande-t-on à un prof d'un lycée de banlieue populaire? La réponse évoque le malaise social: tenir une classe (première règle avant celle d'instruire), et aiguiller les élèves vers des filières d'apprentissage… Pour les jeunes diplômés de l'Éducation nationale qui étaient arrivés avec de grandes espérances, la réalité a un goût amer.

GUERRE D'USURE

Aymeric Patricot livre une réflexion sur la violence et le climat délétère qui s'immisce dans les classes. Le problème, c'est que non seulement les jeunes professeurs n'y sont pas préparés – et les conséquences sont désastreuses quand des humiliations et de la guerre d'usure auxquelles s'adonnent certains élèves la violence devient physique, coups et blessures… – mais en plus on leur laisse la charge de régler des problèmes d'insertion. «Aucune structure n'existant pour inculquer à ces enfants quelques principes élémentaires de sociabilité, ou pour apaiser le sentiment de rage qu'ils développent à l'égard de toute contrainte, les professeurs laisseront souvent filer le problème en ignorant ces enfants jusqu'à ce qu'ils sortent du système scolaire – gonflant les rangs de centaines de milliers d'adolescents quittant l'école sans diplôme. »

Un mal-être que les politiques de droite ou de gauche répugnent à traiter pour des raisons différentes: «La droite ne traiterait pas la question parce qu'au fond elle ne s'y intéresse pas, ne jugeant pas nécessaire de dépenser de l'argent pour des populations qu'elle accepte à peine […], quant à la gauche, elle ressentirait une certaine gêne devant une réalité moins docile qu'elle ne l'aurait souhaité.»

Puisant dans son vécu personnel, Aymeric Patricot réfléchit sur la société française telle qu'elle est devenue – «Le mot français suffisait-il à définir ma situation?» –, rappelle les chocs et les expériences émouvantes d'une décennie passée parmi les moins privilégiés du système. Il a le courage de proposer certaines pistes de réflexion dans lesquelles «[il] invest[it] un enthousiasme rageur». Il a le mérite de regarder la réalité en face. Ce texte porte la marque de son courage.

jeudi 23 juin 2011

Simone : Jean-Paul, en plus humain (Mémoires d'une jeune fille rangée, Simone de Beauvoir)


Simone de Beauvoir - interview par caro_76

Livre décidément admirable que ces Mémoires d’une jeune fille rangée (premier volume de l’œuvre autobiographique de Simone de Beauvoir, par ordre chronologique de publication). Elle y raconte son enfance, ses premiers amours, ses premiers éblouissements physiques et intellectuels. Il est fascinant de voir tout ce qu’elle doit à Sartre, mais aussi les qualités qui la distinguent de lui. On retrouve chez elle le sens de la formule de Jean-Paul, sa façon de mêler psychologie, métaphysique et sociologie dans de courtes phrases cinglantes.

Mais si Les Mots peuvent fatiguer le lecteur par leur côté pudding de fulgurances, si le livre du grand maître perd en justesse, en naturel à force de vouloir briller à chaque page, les Mémoires d’une jeune fille rangée, elles, se singularisent par leur fluidité, leur pudeur, leur élégance. On retrouve les repères philosophiques de Sartre, ses réflexes de pensée, ses concepts, mais parfaitement intégrés dans une prose qui paraît couler de source.

Il y a de très belles phrases, par exemple, sur le thème de la temporalité, venant souvent clore de longs paragraphes assez classiques – scènes de famille, portraits psychologiques, comptes-rendus de lecture. Elles brillent alors par leur beauté, comme dans ce passage où Beauvoir évoque sa déception lorsqu’elle voyait, enfant, les personnages de romans dont elle était amoureuse s’enticher d’une femme qu’elle n’estimait pas à leur hauteur :

« Autrefois, lisant Les Vacances de Mme de Ségur, j’avais déploré que Sophie n’épousât pas Paul, son ami d’enfance, mais un jeune châtelain inconnu. L’amitié, l’amour, c’était à mes yeux quelque chose de définitif, d’éternel et non pas une aventure précaire. Je ne voulais pas que l’avenir m’imposât des ruptures : il fallait qu’il enveloppât tout mon passé. »

J’aime vraiment beaucoup cette dernière phrase, aussi belle que suggestive. Elle me rappelle certains articles de Sartre sur la temporalité, par exemple chez Faulkner, dans ses célèbres Situations. Et c’est ce mélange d’exigence conceptuelle et de parfait glissando narratif qui me semble précieux chez Beauvoir : je vois vraiment dans son œuvre, aujourd’hui, comme un exemple à suivre, rêvant de connaître dans ma vie quotidienne sa force, sa foi dans l’existence, sa confiance dans les pouvoirs de l’intelligence et de l’action – un idéal difficile à atteindre, forcément, mais dont Beauvoir offre une illustration convaincante.