La littérature sous caféine


mardi 26 septembre 2023

Raté

Il y a quelques années, j’ai écrit un recueil de nouvelles, « Artistes ratés », dont aucun éditeur n’a voulu. « Les textes courts ne se vendent pas et puis, vous comprenez, qui a envie de lire des histoires d’artistes ratés ? » Aujourd’hui, je découvre avec effarement les Collections de l’Art brut de Lausanne, fasciné par les œuvres autant que par les notices biographiques, résumant en trois paragraphes des vies souvent difficiles – abandon, guerre, folie, prison… Les notices sont des chefs-d’œuvre ! J’y retrouve exactement ce qui a présidé à l’écriture de mon recueil, l’envie de décrire des destins ramassés, douloureux, éclairés par une ambition artistique peu reconnue. Je rêve d’un livre compilant toutes ces vies.

lundi 25 septembre 2023

16 choses vues à Turin

Malgré la chaleur, on croise beaucoup d'hommes en pantalons et chemises sous la ceinture / Chez les hommes distingués, la mode est aux mocassins et aux chaussures bateau, parfois avec des chaussettes montantes multicolores / La polémique sur la climatisation dans les magasins n'a pas encore éclaté de ce côté des Alpes : toutes les boutiques laissent gracieusement leurs portes ouvertes / Le point fort des villes italiennes ce sont vraiment les cafés, chics, accueillants, délicieux... On ne regrette pas les steaks frites parisiens servis sans grâce dans des brasseries vieillies / On dit Turin dangereuse, or je découvre un centre historique impeccable, sans déchets, sans façade pelée, joli jusque dans ses poubelles, calme et distingué ; j'imagine que ça se gâte en périphérie mais les apparences sont sauves pour le touriste / Ce vaste centre ressemble fort à l'Autriche, à moins que ce ne soit l'inverse / Beaucoup de restaurants se sont aménagé des terrasses sur les trottoirs, sans doute depuis le Covid, mais ce sont des terrasses élégantes de tables avec nappes, bordées de barrières peintes en noir / Le Spritz reste l'apéritif à la mode, il fleurit sur les terrasses en fin d'après-midi ; le Negroni se boit aussi beaucoup / La présence française est plus discrète qu’en Allemagne ou dans les pays de l’est, sans doute parce que l’Italie a sa propre industrie du luxe ; on trouve malgré tout du champagne dans les vitrines, des croissants dans les cafés, des Renault dans la rue, quelques films français à l’affiche, le mot bistrot sur quelques devantures, un petit nombre de bd franco-belges coincées entre les comics et les mangas / Leurs cafés allongés sont nos cafés serrés ; je peine à imaginer un Turinois boire un café de 50 cl chez Starbucks. D’ailleurs, on ne trouve pas de Starbucks / Très en vogue sur les terrasses, l’aperitivo est autrement plus généreux et savoureux que nos planches charcuterie-fromage, et servi avec un cocktail / On croise souvent des jeunes femmes radieuses, une couronne de lauriers et de fleurs sur la tête – elles fêtent l’obtention d’un diplôme / Je n’ai pas vu de lunettes tapageuses, comme d’habitude en Italie. La mode se perd-elle ? Ou bien les Turinois résistent-ils ? / Les cafés sont servis avec de petits verres d’eau pétillante / Les pays limitrophes s’inspirent tellement du baroque italien qu’on a le sentiment, quand on entre dans une chapelle à Turin, de se trouver au cœur de la matrice / Quand on passe en Suisse, la qualité de la nourriture s’effondre mais le volume de café augmente.

mercredi 20 septembre 2023

Journal d'Avignon, suite et fin

"J'aime les paumés, les moins-que-rien !" clame Pannonica, baronne juive en rupture avec son milieu, œuvrant pour la reconnaissance de jazzmen noirs. C'est exactement le mantra qui m'a guidé jusqu'à maintenant (mais plus pour longtemps ?) dans mon travail romanesque, et ce n'est sans doute pas un hasard si Natacha Régnier, interprétant avec justesse et émotion le personnage campé par Olivia Elkaïm, dans une mise en scène élégante de Christophe Gand, a accepté il y a deux ans de prêter sa voix à mes Suicide girls, avant de me faire l'amitié de lire en public des passages de La Viveuse. Pour moi, la littérature a toujours été quelque chose comme des mots soufflés sur une situation impossible.

Dans un genre différent, "Porn for the blind" réussit ce que la comédie sociale anglaise avait réussi avec Irina Palm (2007) : une histoire drôle et touchante, à peine provocante, à propos de l'univers porno. Une jeune femme (incarnée avec brio par Lison Pennec, auréolée du dernier Molière de la révélation féminine) tombe amoureuse d'un aveugle et cherche à le retrouver par le biais de podcasts érotiques. Rien de graveleux, mais de l'humour à revendre... Le porno devient un beau prétexte et l'occasion d'une jolie réflexion sur les fantasmes et la solitude. Qui a dit que la chair était triste ?

lundi 18 septembre 2023

La plus vieille belle gueule

Je soupçonne Beckett de devoir une partie de son succès à sa belle gueule, à vrai dire la plus belle vieille gueule de la littérature... Le piquant dans cette affaire, c'est que ce physique hollywoodien cache un hallucinant désespoir glacé.

mercredi 13 septembre 2023

Algos

Écrire et travailler sur la sexualité, c'est à double tranchant. Vous attirez les curieux, les égrillards, les amusés, mais vous en agacez beaucoup d'autres. Sans parler du fait que les algorithmes vous marginalisent et cela, quel que soit le discours que vous tenez. Je pense l'avoir en partie expérimenté avec La Viveuse. Alors, je suis plein de sollicitude pour ceux qui s'y frottent, comme dans Platonix, mis en scène par Hélène Boutin, la comédie d'une réalisatrice tournant un porno conceptuel avec des acteurs qui ne la comprennent pas. Rythmé, culotté, sans provocation inutile... L'écueil énorme du ridicule est évité !

mardi 12 septembre 2023

Copi

Ça crie, ça rouspète, ça se bouscule, ça gigote, ça s'agite, ça roucoule, ça danse, ça rit, ça pleure, ça grimace, ça chie, ça baise, ça tue, c'est du Copi.

Et, accessoirement, le meilleur titre du Festival d'Avignon, "La sauterie circulaire".

lundi 11 septembre 2023

Oulipo, rire mécanique

Longtemps, je n'ai pas aimé les jeux littéraires. J'estimais qu'avec la littérature on n'était pas là pour s'amuser. Décrire, ressentir, exprimer... Mais j'avance en âge et je comprends mieux l'intérêt de faire l'enfant. Retrouver la fraîcheur et surtout prendre à revers la vie pour moins la subir.

C'est dire comme j'ai aimé, au Festival d'Avignon, "C'est un métier d'homme", en partie écrit par Hervé Le Tellier et placé sous le patronage de l'Oulipo. Deux acteurs survoltés (Denis Fouquereau, David Migeot) se moquent des postures et des métiers en jouant de leurs ressemblances, de leurs procédés, de leurs inévitables déchéances. Le rire est du mécanique plaqué sur du vivant, disait l'autre : ici, le rire est plutôt la révélation du mécanique.

mercredi 6 septembre 2023

Lavant au off

Quand j'habitais à Belleville, je croisais souvent Denis Lavant. J'étais intrigué par ce petit homme au visage chiffonné, toujours pressé, habillé comme un vagabond. Je me souvenais de certains de ses rôles au cinéma. M'intéressant davantage à lui, j'ai découvert la carrière merveilleuse d'un acteur intense et exigeant. Je le retrouve avec plaisir au Festival d'Avignon en compagnie de Samuel Mercer dans ce "Je ne suis pas de moi" tiré des "Carnets en marge" de Dubillard. Prenez Beckett, ajoutez du Sartre, saupoudrez de burlesque et de sexualité horrifique et vous obtenez ce dialogue foutraque et furieux. L'instant métaphysique de mon festival !