Aymeric Patricot : La politique, cette nouvelle pornographie

La politique, cette nouvelle pornographie

Par admin, mercredi 18 avril 2012 à 13:26 :: Littérature française :: #637 :: rss

L’Enfer, dans ma bibliothèque, n’est plus constitué de volumes érotiques – bien que ce rayon-là commence à contenir des choses intéressantes… – mais bien de ces livres d’auteurs que j’appelle les « infréquentables » (Barrès, Maurras…) et que je n’expose qu’avec une certaine gêne : la véritable pornographie, aujourd’hui, n’est-elle pas devenue la politique, ou plutôt l’expression de certaines idées politiques ?

La sexualité n’offusque à peu près plus personne. En revanche, les indignations fleurissent quand il s’agit de discours sur les cultures, sur les races, sur certaines visions de la société. Taisez ces opinions (souvent anciennes) que l’on ne saurait voir… On rougit maintenant des idées plutôt que des pulsions, on cache les expressions de haines plutôt que les manifestations d’amour.

Cette évolution-là n’a rien d’étonnant, au fond – on décriminalise la sexualité à mesure que l’emprise religieuse faiblit, on criminalise (à juste titre) les opinions qu’on estime avoir causé d’irrémédiables dégâts. Elle n’en reste pas moins spectaculaire, et je m’amuse de constater qu’on baisse aujourd’hui la voix quand on cite tel écrivain sulfureux, de la même manière qu’on se couvrait la bouche en disant verge ou con.

Y aurait-il une excitation propre au champ politique ? Les deux excitations communiquent-elles si facilement ? Je me souviens des Bienveillantes, cet incroyable roman dont le mélange troublant d’extrême violence nazie et de sexualité débridée avait en partie expliqué le triomphe. Certains reprochaient à l’auteur d’avoir « empilé » sans cohérence les caractéristiques du personnage : nazi, pervers sexuel, homosexuel porté sur l’inceste… Mais toutes ces choses n’étaient-elles pas liées par un même sentiment de tension sexuelle ?

Bataille associait l’érotisme à la notion d’interdit.
Genet bandait pour les petites frappes et les condamnés.
Criminaliser les opinions, c’est les rendre excitantes… Et c’est un effet inattendu, mais mécanique, des tabous jetés sur certaines conceptions politiques ou sociétales (comme beaucoup le disent par exemple aujourd’hui à propos du racisme : « ce n’est pas une opinion, c’est un délit ! ») : les bibliothèques se réorganisent et ménagent quelques surprenants paradoxes…

COMMENTAIRES

1. Le jeudi 19 avril 2012 à 10:19, par hélène

Je me disais la même chose hier, je viens de me procurer "les décombres" (rebaptisé les mémoires d'un fasciste) de Rebatet et m'apprête à acheter le Drieu en pléiades ...Je vais m'autocensurer pour le métro ... Ceci étant ce n'est pas parce qu'on lit un écrivain qu'on adhère à ce qu'il a écrit...La censure persistante de certains écrits de Céline me reste incompréhensible: laisser cet interdit ne rend en effet les choses que plus sulfureuses .

2. Le jeudi 19 avril 2012 à 12:31, par aymeric

article aujourd'hui dans le Figaro Littéraire sur la publication de la pléiade sur Drieu... Il semble admis qu'il fasse dissocier littérature et idéologie. et puis drieu jouit d'un certain coefficient de sympathie: ses faiblesses, son suicide, ses amis sauvés pendant la guerre (malgré les compromissions idéologiques) le sauvent, d'une certaine manière, aux yeux de beaucoup d'écrivains. On sait que Mitterrand l'appréciait beaucoup, ainsi que Malraux, Aragon...
Il faut que je lise Rebatet, effectivement - même s'il ne jouit pas du meme prestige que Drieu et qu'il ait été plus loin, me semble-t-il, dans l'ignominie... J'ai été surpris que Le Dilettante republie certains de ses romans, c'est sans doute que ça vaut la peine, d'un point de vue stylistique

3. Le jeudi 19 avril 2012 à 12:34, par aymeric

Quant à l'angoisse d'etre repéré dans le métro, je crois qu'il faut se dire qu'à peu près personne ne tiquera au nom de Drieu ou Rebatet - tout simplement parce qu'ils sont tombés dans l'oubli
Soral déclenchera davantage de réactions
J'ai récemment cherché Maurras dans les rayons des librairies, et il est totalement occulté. Meme chez Gibert, on ne trouve aucune occasion. Dans les plus grandes fnacs, absolument aucun exemplaire... C'est étonnant: Maurras était admiré de tous (même de Proust) avant de verser dans l'ignoble

4. Le vendredi 20 avril 2012 à 13:19, par hélène

Charles Maurras a un coté moins sulfureux (peut être parce qu'il était à la limite du gâtisme à l'époque ) .Je n'ai rien lu de lui, mais je ne crois pas qu'il a eu des déchainements haineux antisémites à la hauteur de céline, brasillach, rebatet, etc...
Il a "seulement" été condamné pour avoir soutenu Vichy je crois (?).

C'est Déon (dont on connait les opinions) qui le réhabilite beaucoup dans je ne sais plus quel livre de ses mémoires.

5. Le vendredi 20 avril 2012 à 20:00, par aymeric

tiens, je ne connais pas ces textes de déon - mais il est vrai que je ne connais finalement que quelques-uns de ses plus récents

6. Le lundi 23 avril 2012 à 18:01, par hélène

Il parle de Maurras dans "mes arches de Noé". Sinon, j'ai un souvenir inoubliable d' "un taxi mauve " mais surtout des " (les) poneys sauvages" .Mais j'ai lu ça à 21 ou 22 ans et je ne suis pas sure que j'aimerais encore (je n'y retournerai pas).

7. Le lundi 23 avril 2012 à 19:10, par Ariane

Un taxi mauve et Les poneys sauvages m'ont beaucoup ennuyée mais je recommande Les gens de la nuit, court roman réédité à la table ronde dans la collection La petite vermillon.
Je n'ai rien lu de Maurras. Il a été un maître à penser pour une génération mais au-delà de ses idées, il y a peut-être un beau style dans des textes étrangers à la politique (comme Gilles ou le Feu follet de Drieu)

8. Le lundi 23 avril 2012 à 19:49, par aymeric

oui, comme toi, je préfère les textes courts de déon...

quant à maurras, j'ai commencé à lire "quatre nuits de provence" (un livre péniblement déniché chez un bouquiniste de Jourdain, qui a profité de mon achat pour me livrer un virulent discours contre l'extreme-droite), un texte a-politique, et c'est somptueux - langue riche, très imagée

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