La littérature sous caféine


Retour sur une couverture

Lorsque nous avons choisi cette photo d’Irina Ionesco pour la couverture de Suicide Girls, mes éditeurs et moi, j’étais convaincu de sa beauté, mais aussi de sa parfaite correspondance avec la teneur du texte. Relations sulfureuses, obsessions noires, romantisme érotique… Tout y était, et j’interprétais la beauté plastique de la photo comme une transcription graphique de la teneur toute classique du roman.

Je me doutais que l’effet sur le lecteur puisse être saisissant. Mais cela ne pouvait occulter, à mes yeux, la classe et le mystère de l’image. Je crois bien m’être trompé. Maintenant que le succès, disons, mitigé, du roman semble confirmé, je me rends compte qu’il y a de grandes chances que la couverture ait joué contre lui.

Qu’on en juge par deux anecdotes : tout d’abord, des amis de province m’ont confirmé le fait que certains libraires avaient rangé le livre au rayon « érotisme », loin des tables de nouveautés… Ensuite, quelle n’a pas été ma surprise de constater que Dailymotion avait classé « Contenu explicite » une vidéo contenant un entretien audio, tout ce qu’il y a de sérieux, sur laquelle j’avais affiché la fameuse couverture. Ce classement supposait que les mineurs ne pouvaient plus avoir accès à la vidéo, et qu’elle n’était plus référencée sur le site. Rien de bien grave, au demeurant, si ce n’est que l’incident révélait les crispations que l’image provoquait. On lui reprochait moins, me semble-t-il, son atmosphère sombre que la sexualité trouble qu’elle mettait en scène. L’accusait-on, même, de lorgner vers la pédophilie ?

Je me souviens maintenant de la couverture d’un livre célèbre d’Anaïs Nin, Venus Erotica, dont la version poche exhibe le même genre de photo, pour le coup ouvertement érotique – une très jeune femme à la poitrine dénudée, dans une atmosphère embrumée. Je pensais que ce genre de couverture pouvait susciter l’intérêt. J’ai sans doute très nettement sous-évalué la méfiance, voire la répugnance que cela pouvait inspirer. Les libraires chercheraient-ils à promouvoir essentiellement des livres optimistes, des livres joyeux ? Le parfum de scandale n’est-il supportable qu’avec des auteurs dont le succès est déjà confirmé ?

Je discute avec des gens qui ont lu Suicide Girls, et certains me confirment qu’ils ont été heurtés par la couverture, qu’ils trouvaient violente. « Le titre est brutal, déjà… Cela fait surenchère. Et puis le contenu n’est pas aussi trash. Le thème est dur, mais l’écriture plutôt douce et pudique. La couverture rebute, finalement, alors que le texte a de quoi séduire. »

Bien sûr, je ne suis pas dupe de ces interprétations après coup. Le livre aurait davantage rencontré de succès, on aurait loué sa couverture. Et je ne regrette pas un choix que j’estime toujours être le bon. Je me rends simplement compte, de manière un peu plus aigüe qu’auparavant, que le souffre n’a pas très bonne presse – ou que son public reste, dans la plupart des cas, confidentiel.

COMMENTAIRES

1. Le lundi 15 novembre 2010 à 21:04, par marine

comme quoi la couverture ça joue dans l'interet porte au livre, mais ça reste un element tellement subjectif que ça doit etre du grand art de la choisir!

2. Le lundi 15 novembre 2010 à 21:39, par Cristina

Si cela peut te consoler, si de consolation tu aurais besoin, je peux te parler de l’étiquette de Mouton Rothschild 1993, dessinée par Balthus et représentant une jeune adolescente nue, couchée un peu lascivement. Aux Etats-Unis, elle fut purement et simplement censurée et remplacée par une étiquette… vierge… Sache qu’aujourd’hui, cette étiquette américaine s’arrache à prix d’or. La question étant, est-ce l’étiquette vierge ou le dessin initial qui l’a rendue célèbre ? D’autres questions sont ici posées, selon moi, comme de savoir si la communication au travers de la photo sur la couverture de ton livre est ou pas judicieuse, s’il est honnête ou pas de dire que le succès d’un livre tient à sa couverture et enfin si à moyen terme la couverture pourrait ou ne pourrait pas jouer en ta faveur ? Dans ce dernier cas il faudrait qu’il y ait polémique pour que la tendance s’inverse. Pourquoi ne pas la créer ?

3. Le lundi 15 novembre 2010 à 22:51, par aymeric

‎@ cristina: j'aime bcp ton anecdote ! c'est sûr que tout ce qui fait scandale un jour plait deux fois plus quelques années plus tard... Et d'accord avec toi pour dire que la couverture n'explique pas seule ce qui arrive au livre. :-) Quant au scandale à provoquer, j'attends tes suggestions ! ;-)

4. Le mardi 16 novembre 2010 à 12:22, par mathieu

les lecteurs, c'est une chose. les critiques, c'en est une autre. on peut regretter que les critiques subissent les memes a priori de ceux qu'ils sont censés eclairer. on pourrait meme dire, des a priori pires que ceux des lecteurs

5. Le mercredi 17 novembre 2010 à 09:08, par Brize

Simple réaction de lectrice mère de deux adolescentes : j'ai trouvé que la photo était belle mais elle m'a alertée, bien sûr, en plus du titre qui me rappelait "Virgin Suicides"... alors oui, je n'ai pas eu envie de feuilleter le roman, ni même de jeter un oeil à la quatrième de couverture, car a priori le thème ne me tentait guère .
Si j'en crois votre article, j'ai eu raison de me fier à l'image, qui est un bon écho du contenu et, malgré les erreurs d'interprétation que vous avez pu relever, je pense que la majorité des lecteurs potentiels doivent appréhender la photo comme vous souhaitiez qu'elle le soit.

6. Le mercredi 17 novembre 2010 à 11:01, par aymeric

C'est vrai que le thème est, disons, peu vendeur... Cependant le succès de "virgin suicide", justement, semble montrer que cela n'est pas non plus rhédibitoire. ce livre (et ce film) sont même plus ouvertement tragique que le mien (qui s'achève sur des notes positives). Mais il faut reconnaître que "virgin suicide" avait un côté glamour avec cette ribambelle de jolies filles d'un milieu distingué. Et l'affiche du film soulignait la douceur et l'évanescence !

7. Le jeudi 18 novembre 2010 à 11:10, par hélène

La photo est belle. Une photo n'est jamais gênante, c'est la façon dont les personnes s'en emparent, l’utilisent et la regardent qui peut créer la gêne.

Si je n'avais pas eu connaissance de ta démarche d'écriture par ton blog et ce que tu y donnes de toi : elle m'aurait gênée car je n'aurais pas connu l'intention qu’elle véhicule.

Mais te "connaissant" par ce blog elle m’a parue simplement belle. Venant d’un écrivain inconnu ou connu selon un autre axe, elle m’aurait gênée.

La même photo sur un livre de Matzneff n’aurait pas eu la même signification (si je veux faire un résumé simpliste de ma pensée (et de Matzneff)).

Quand tu en as parlé en août, j'ai eu envie de le dire mais je m'en suis abstenue car je ne me crois pas habilitée à dire ce genre de chose.

En fait, sur une couverture, elle peut être vue comme « racoleuse ». Et il est probable qu'elle m'aurait freinée, voire empêchée d'acheter le livre si je n' n'avais pas eu l’envie de le lire par d’autres biais.







8. Le jeudi 18 novembre 2010 à 17:12, par aymeric

Tout ce que tu dis est très juste. La question de la provocation est assez subtile: il est parfois difficile de faire la différence entre la provocation délibérée (pléonasme) et la simple volonté de traiter des thèmes dérangeants. De même qu'il peut y avoir un certain profit à jouer la carte du "trash pour le trash", de même il peut être risqué d'investir un domaine considéré comme trash même si l'on part avec de bonnes intentions... A partir du moment où l'on connait les risques, on ne peut cependant pas se plaindre de certaines conséquences! :-)

9. Le mercredi 26 janvier 2011 à 22:46, par Styliste Paris

Je l'aime bien cette couverture moi. Jolie photo qui va avec le thème du livre.

10. Le vendredi 15 mars 2013 à 18:48, par Rose

Moi idem que Brize je n'ai pas eu envie d'ouvrir le livre. Car le titre fonctionne, il est fort (même si "suicide" c'est pas un mot vendeur, c'est clair !) La photo fonctionne aussi, elle est très belle. Mais pas les deux ensemble car je n'ai alors plus d'espace pour désirer ou rêver (+ l'impression d'avoir déjà vu ce genre de choses, noir et blanc, titre "choc", typo rose...) donc peur d'un livre trop noir, trop binaire ou lourdingue. Pour moi le résumé au dos n'était pas du tout vendeur. En résumé j'ai trop senti ce côté envie de plaire, de séduire.
J'ai aussi pensé à "Virgin suicide" (que j'ai adoré). Qui a marché par bouches à oreille, bonnes critiques et actrices montantes à l'époque (je me souviens que le Glamour ne parlait que d'elles). Et la douceur de l'affiche pour un thème pareil à l'époque c'était novateur, beaucoup copié depuis. Le mot "virgin" qui intriguait face au mot "suicide" donc on pouvait se raconter quelque chose. La cinéaste n'était pas dans le plaire mais faire partager son univers très fort et ça on le sentait vraiment. Comme quoi les maisons d'édition devrait se payer un peu plus de bons graphistes car c'est un métier ! (Maintenant je me demande si c'est Eva Ionesco sur la photo et je n'espère pas).

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