Il y a quelques années maintenant, quelques personnes de ma famille m'avaient conseillé de mettre de l'humour dans ce que j'écrivais. Plus récemment, une amie m'a dit qu'elle n'avait pas aimé l'un de mes derniers manuscrits : la fin n'était pas joyeuse... Elle ne reprochait pas à la chute d'être mauvaise, ou maladroite, ou mal écrite, non, simplement ce n'était pas un happy end. Et cela semblait gâcher à ses yeux l'ensemble du texte.

Je n'avais pas relié jusqu'à maintenant ce problème avec celui de la différence des sexes, parce que j'aime plus trop faire de généralités dans ce domaine (même s'il est si tentant d'y revenir !). La vidéo de Houellebecq ci-dessus m'a précisément amusé pour cela : il s'étonne lui aussi qu'on soit déçu que ses textes soient pessimistes, car il trouve, lui, qu'il y a quelque chose de revigorant dans la noirceur en art (c'est assez vrai, je trouve, même si le phénomène reste assez curieux). Et il attribue ce goût du happy end notamment aux femmes (Ses statistiques personnelles sont peut-être cependant biaisées par le fait que les lecteurs de romans sont en grande majorité des lectrices...)

Quand bien même le goût des femmes pour la littérature joyeuse serait avéré, je ne me risquerais pas à des interprétations... D'autant plus que le même Houellebecq, dans son dernier livre, controversé, Ennemis Publics (Flammarion-Grasset, 2008), écrit de concert avec Bernard Henri-Lévy, (vigoureux échange de lettres sur lequel je reviendrai) nous offre une belle page sur l'évolution des goûts littéraires français depuis trente ans en matière de bonheur et de dépression, dépassant cette fois-ci la distinction des sexes pour distinguer plutôt les époques :

"Que la France (et pas seulement elle, l'Europe Occidentale tout entière) ait sombré dans la dépression après les Trente Glorieuses, cela me paraît absolument normal. L'optimisme était trop général, la croyance au progrès trop franche et trop naïve, les espérances trop partagées. Extension du domaine de la lutte était, je crois, un livre salutaire ; et je crois aussi qu'il ne pourrait plus être publié aujourd'hui. Parce que nos sociétés en sont maintenant arrivées à ce stade terminal où elles refusent de reconnaître leur mal-être, où elles demandent à la fiction de l'insouciance, du rêve ; elles n'ont simplement plus le courage de voir leur propre réalité en face. Car le mal-être n'a nullement diminué, il n'a fait que s'aggraver, il suffit de considérer comment aujourd'hui les jeunes boivent : brutalement, jusqu'au coma, pour s'abrutir. Ou bien ils fument une dizaine de joints à la file, jusqu'à ce que l'angoisse s'éteigne. Sans même parler du crack." (Extrait de Ennemis Publics, p69)