La littérature sous caféine


Curieux de savoir ce que Lévi-Strauss en penserait... (J.M.G Le Clézio, Prix Nobel de Littérature 2008)



Hier, conversation rapide entre profs autour d'un dernier gobelet de café, à propos du Prix Nobel de Littérature tout juste attribué à J.M.G. Le Clézio. Je suis bien le seul à être enthousiaste :

"Vous avez vu ça, chouette, non ? - Oui, c'est vrai... Seulement, moi, j'ai toujours trouvé ça un peu ennuyeux, Le Clézio ! - Ah oui ? (Rires) Tu me rassures ! Ca me fait un bien fou que tu dises ça ! Je n'ai jamais osé le dire ! Jamais ! - Moi non plus ! On n'est pas les seuls, alors... - Moi aussi, j'ai toujours lâché ses livres après la page 50 ! - J'en connais un qui fait 80 pages, ça devrait t'aller ! - Tu me donneras le titre..."

"Hello ! Bonjour la compagnie ! Vous parlez de Le Clézio ? Franchement, qu'est-ce qu'il est chiant ! J'étais énervée, ce matin... J'en ai marre de tous ces auteurs qui donnent à fond dans la mauvaise conscience occidentale... Non mais franchement, y'en a marre de ce mythe du bon sauvage... Il est en plein là-dedans, lui ! J'ai lu L'Africain, et il arrête pas de décrire des enfants aux pieds nus, s'extasiant qu'on puisse courir à poil dans la nature ! Il nous refait du Rousseau en continu, faut arrêter !"

Une nouvelle fois, je suis un peu surpris par la tournure que prennent certaines conversation de salle des profs... Depuis des années, en tout cas, on entendait dire que le nom de Le Clézio circulait sur les listes de nobélisables (j'entends aussi souvent le nom de Haruki Murakami, pour le Japon, même si je serais étonné qu'il l'obtienne).

En relisant Raga, le petit livre qu'il a publié au Seuil en 2006, retraçant avec poésie l'histoire de certaines îles d'Océanie, notamment depuis les désastres du 19è siècle, je suis effectivement frappé d'une part par la délicatesse de l'écriture, toute en retenue, toute en discrétion, d'autre part par la prégnance de ce thème de civilisations qui s'effacent, ou qui souffrent, au contact des Occidentaux. On ne peut pas vraiment dire que Le Clézio donne ici dans le mythe du bon sauvage, puisqu'il relève des faits précis, qu'il se documente, et qu'il va voir sur place pour rendre compte de certaines réalités.

Cela me rappelle le constat désabusé que faisait Lévi-Strauss dans son célèbre Tristes Tropiques : il y expliquait par exemple qu'il était illusoire, désormais, de croire qu'on pouvait accéder à des civilisations "vierges" de tout contact avec la modernité. Il fallait se faire une raison. Mais Le Clézio, tout au long d'une carrière jalonnée par d'innombrables romans, paraît avoir voulu prouver le contraire : en tout cas chercher par le miracle de la fiction à renouer avec certaines formes d'archaïsmes, à épouser la manière de penser de peuples méconnus, à retrouver le sens d'une poésie, d'un bonheur que la civilisation condamne (j'espère ne pas faire de contresens, à propos d'une oeuvre dont je n'ai lu qu'une faible partie).

Le jury du Nobel a d'ailleurs salué chez l'écrivain "l'explorateur d'une humanité au-delà et en-dessous de la civilisation régnante".

(Je me rappelle avoir parlé sur ce blog du très beau livre L'Africain, portrait de son père et rappel de quelques souvenirs lointains de son enfance)

Le passage suivant de Raga me paraît particulièrement représentatif de son oeuvre :

"Ilamre, c'est le "village en l'air".
Pour qui vient de la côte, cette frange de contact avec l'Occident industriel, zone de délabrement physique et culturel, ciment des appontements rongé par le sel, vestiges de la soi-disant grandeur impériale, (...), cahutes où les plaques de zinc et les parpaings ont remplacé les murs de bambou tressé, avec sur tout cela l'air d'ennui qui flotte sur toutes les frontières du monde, l'arrivée dans les hauts ressemble à l'entrée au paradis
." (Raga, Points, page 36)

COMMENTAIRES

1. Le vendredi 10 octobre 2008 à 21:34, par Flora

Je garde un très beau souvenir de la lecture d'"Onitsha"... Le Clézio est un écrivain rare, intègre, fort et ce prix nobel est extraordinaire ! Bizarre que les profs le snobent...

2. Le vendredi 10 octobre 2008 à 21:41, par Flora

je viens de regarder l'extrait vidéo... En plus Le Clézio est beau comme un Dieu ! Il se dégage de lui une sérénité incroyable ! Un calme, une tranquilité.

3. Le vendredi 10 octobre 2008 à 22:20, par Sophie

Merci, Aymeric, pour cette analyse. Un peu plus profonde que celles que l'on peut lire ici ou là...

4. Le samedi 11 octobre 2008 à 08:17, par pat

j'ai souvent entendu dire, effectivement, qu'il plaisait beaucoup aux femmes ! Dans la moyenne des écrivains, et vu son age, c'est vrai qu'il s'en sort étonnamment bien !

5. Le samedi 11 octobre 2008 à 16:04, par Rosalie B

Merci à Le Clezio et Echenoz qui jeudi soir lors d'une émission littéraire démontrent avec élégance qu'ont peut être écrivains talentueux....et modestes. D'autres, très médiatisés ces jours ci feraient bien d'en faire autant s'ils ne veulent pas tomber dans le grotesque...(A moins qu'ils n'y soient déjà!!!)

6. Le samedi 11 octobre 2008 à 16:57, par mattD

un grand monsieur qui se détache tellement des autres ! Modestie, discrétion, travail, force, que demander de plus ? On n'imagine pas sollers ou bégaudeau recevoir le nobel, n'est ce pas ? (;-) à tous)

7. Le samedi 11 octobre 2008 à 18:07, par Rosalie B

Là effectivement Levi Strauss se retournerait dans sa tombe et Camus avec !!!

8. Le samedi 11 octobre 2008 à 18:41, par Rosalie B

Mais j'ai un flash soudain, même s'il commence sérieusement à creuser, Levi Strauss n'est pas 10 pieds sous terre ???? ou bien j'ai raté un épisode. Je ne suis plus, c'est quoi ce titre Pat ? Y a t-il un sous entendu dissimulé au 35e degré? A moins que la réponse ne soit dans la video....si c'est le cas tantpis pour moi, je n'ai pas le son sur mon portable à la campagne....les avatars du monde "sauvage"!

9. Le dimanche 12 octobre 2008 à 01:25, par pat

oups... Grosse boulette !!! Je me rends compte qu'il est né en 1908, mais qu'il est encore vivant !!! Je change illico le titre du billet !

10. Le dimanche 12 octobre 2008 à 10:05, par Rosalie B

Imagine qu'il meurt ces jours ci....on pourra dire que tu l'auras précipiter dans sa tombe! Il ne te restera plus qu'une vie de repentir ;-)

11. Le dimanche 12 octobre 2008 à 10:17, par Rosalie B

précipité

12. Le dimanche 12 octobre 2008 à 11:11, par pat

oui, la honte ! ca me rappelle, qui ça déjà... ce journaliste qui avait annoncé la mort de Sevran quelques jours avant sa vraie mort !

13. Le dimanche 12 octobre 2008 à 11:52, par Rosalie B

Oui enfin, il y a des disparitions qui sont plus graves que d'autres. Je pense que ce journaliste n'a pas trop culpabilisé..il a peut-être même fêté l'événement ! (c'est méchant.... désolée mais je suis en pleine lecture de Microfictions de Jauffrey....je ne le fais pas completement exprès!)

14. Le dimanche 12 octobre 2008 à 12:32, par pat

tiens, je n'ai pas encore lu ce livre-là de jauffret... Il a du talent, en tout cas, cet homme !

15. Le dimanche 12 octobre 2008 à 21:41, par vince

il faudrait rebaptiser le prix nobel de littérature. Il faudrait l'appeler : Brevet de Bien-Pensance, à l'heure de la généralisation des migrations, des métissages et de l'auto-flagellation continue de l'Occident

16. Le lundi 13 octobre 2008 à 20:53, par Olympe

Claude Lévy-Strauss aura 100 ans le 27 novembre prochain. Pour les admirateurs, Arte organise des programmes spéciaux pour fêter ce grand homme ! Et qu'il reste encore parmi nous longtemps ! :)

17. Le lundi 13 octobre 2008 à 20:54, par Olympe

Et oui, Le Clézio est très beau ! Surtout quand il était jeune ! :) :)

18. Le mardi 18 novembre 2008 à 13:32, par Rosalie B

A l'occasion des 100 ans de "Monsieur" le musée du quai Branly lui consacre une journée particulière...sur le site, le programme est alléchant ...

www.quaibranly.fr/fr/prog...

19. Le mardi 18 novembre 2008 à 13:51, par pat

tiens, depuis le temps que je cherche une occase pour aller visiter le musée du quai branly !

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