La littérature sous caféine


La beauté vous écrase ou vous foudroie (+ clip de la semaine)

Balade agréable, dimanche, sous un prudent soleil, dans le quartier de Belleville qui ouvrait au public ses dizaines d’ateliers, semés dans une bonne quinzaine de rues (cf ICI). Beaucoup de croûtes au menu, comme de saisissants chefs-d’œuvre, d’autant plus étincelants qu’on ne s’attend pas forcément à les voir ici.

A plusieurs reprises j’ai laissé diffuser en moi de délicieux frissons, quelques minutes après être tombé sur telle ou telle toile. La beauté me fait souvent un effet très particulier. C’est une émotion qui progresse lentement, qui me saisit d’abord, et paraît exploser dans mon corps, avant de m’emporter complètement, comme le grand reflux d’une marée qui s’empare d’un homme sans jambe.

En fait, j’ai la sensation d’être anéanti. Littéralement écrasé par l’évidence de cette chose. Je me fais l’impression de n’être plus rien. C’est à la fois le comble de la vie, et le comble de l’inexistence – je n’ose pas parler de la mort. J’ai toujours envie de pleurer, quand la beauté s’empare de moi. Et même envie de mourir. Elle me tombe dessus, pour me ridiculiser.

Je me rappelle le fameux poème de Baudelaire, A une passante, dans lequel le poète exprime le même genre de sentiment devant une femme qui passe, si ce n’est qu’elle le foudroie, littéralement, et qu’il retourne dans la nuit quand elle disparaît. Baudelaire est brûlé vif par la beauté, je me sens davantage écrasé par elle…

« Moi, je buvais, crispé comme un extravagant,
Dans son œil, ciel livide où germe l’ouragan,
La douceur qui fascine et le plaisir qui tue.

Un éclair… puis la nuit ! Fugitive beauté…
»

(Même sentiment de sublime devant cette chanson méconnue de Curtis Mayfield, Right on for the Darkness, chanson parfaite, extraite de l’album Back to the World : sensibilité tendue, swing précis, colère rentrée s’écoulant dans un lyrisme noir, délicieux…


COMMENTAIRES

1. Le mercredi 21 mai 2008 à 16:28, par Christie

dis donc quand tu t'y mets tu écris drôlement bien ! j'adore ton soleil prudent..


moi ta sensation elle me fait penser à Stendahl qui s'était évanoui dans le musée de Florence, tant de beauté lui était insupportable.

2. Le mercredi 21 mai 2008 à 17:33, par pat

tiens, je ne connaissais pas cette anecdote ! la scene parait un peu ridicule, vue de loin, mais finalement on peut la comprendre !

3. Le mercredi 21 mai 2008 à 19:42, par Aimée

J'ai lu votre article la bouche ouverte, ce que vous y avez écrit est terriblement prenant et de plus en plus au fur et à mesure qu'on avance dans sa lecture (c'est quand que sort votre livre ?)
De plus Curtis Manfield que je ne connaissais pas figurera maintenant dans le liste d'artistes de mon i-pod.

4. Le mercredi 21 mai 2008 à 21:13, par pat

merci aimée !
au fait, pas trop stressée par le bac qui se précise ?
pour le bouquin, il va falloir attendre encore pas mal de temps ! je rame à en faire accepter un autre chez mon éditeur... Faut s'accrocher !

5. Le mercredi 21 mai 2008 à 21:38, par Aimée

si, le bac commence à me faire serieusement peur, tous les cours depuis la mi-mars sont tapés à l'ordi et vu que ce n'est pas personnel du coup on le retiens moins bien, je trouves. Et en plus, les blocus ont cassé le rythme de travail et je suis devenue encore plus paresseuse ...bref, plus j'y pense et plus c'est stressant.
C'est possible d'avoir plusieurs éditeurs ?

6. Le jeudi 22 mai 2008 à 09:27, par pat

moi aussi je donne bcp plus de polycopiés! tu as raison, les cours sont plus complets, mais ils sont sans doute moins bien retenus...
Les éditeurs, mieux vaut travailler avec un seul, son éditeur qui nous suit de longues années, avec lequel on instaure un rapport de confiance... Mais c'est fréquent qu'un écrivain change d'éditeur, quand il estime qu'un texte mérite d'être publié, alors que son éditeur n'est pas du meme avis !

7. Le dimanche 25 mai 2008 à 17:40, par Marco

Dis donc, Aymeric, ça me plaît doublement, ce que tu dis sur ta réaction face à la beauté _ parce que l'année prochaine, je travaille justement sur le thème de la beauté avec les étudiants de prépas HEC! Je te citerai en cours, si tu n'y vois pas d'inconvénient!

8. Le dimanche 25 mai 2008 à 19:33, par pat

tu veux dire que tu citeras le blog ? les eleves vont halluciner : c'est qui ce patricot ?!!
tu es prof en prépa HEC ? c'est un truc qui me tenterait bien, mais j'ai bien l'impression qu'il faut des années (voire des dizaines) avant d'y parvenir...

9. Le dimanche 25 mai 2008 à 21:25, par Marco

Bah non, je ne dirai pas que ça vient d'un blog, t'es fou?! (quoique... il m'est déjà arrivé de citer Paris Match... alors pourquoi pas un blog:)
Je dirai à mes étudiants: "Notez, je vous prie, cette très intéressante formule de l'écrivain contemporain Aymeric Patricot: "C'est à la fois le comble de la vie, et le comble de l'inexistence" Et ils noteront (surtout que ça leur sera vraiment utile pour l'épreuve du concours). Et si il y en a un qui ose me demander qui est Aymeric Patricot, je réponds aussitôt: "Mais voyons! C'est l'auteur d'"Azima la rouge"! Vous ne l'avez pas lu?". Et toc.
(je fais la moitié de mon service en prépa HEC, le reste au lycée; en fait, à part quelques "prépas" archi prestigieuses, c'est plus accessible qu'il n'y paraît: une inspection d'Inspecteur Général qui se passe bien, une opportunité peu de temps après, et hop; c'est vrai que ces cours très ouverts (il s'agit de culture générale, et pas "seulement" de littérature) te conviendraient sans doute bien)

10. Le lundi 26 mai 2008 à 08:47, par pat

il m'arrive de coller des eleves pour des prépas, et j'avoue que l'épreuve de culture générale est un modèle du genre : tous les sujets sont absolument possibles, c'est un bonheur !

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