La littérature sous caféine


mardi 17 décembre 2024

Le problème des institutions

Sur le plateau de Ruquier, quelques jours après l'assassinat de Samuel Paty, j'ai déclaré que la lâcheté de l'administration dans l'affaire Mila n'avait pas été de bon augure. Au fond, ce n'est pas la peur de l'islamisme qui susciterait tant de comportements pusillanimes chez le maire, la principale, le "référent laïcité", certains collègues... C'est bien plutôt la peur de passer pour islamophobe. Quoi qu'il en soit, le livre "Le cours de monsieur Paty" (Albin, 2024), co-écrit par Emilie Frèche et Mickaëlle Paty, dans la lignée de l'excellent opus de David DiNota, est accablant. J'ai hâte de lire un compte-rendu détaillé du procès. Plus que jamais, je suis conscient du fait que les professeurs ne sont pas soutenus. J'en ai parlé dans des livres, j'en ai parlé sur des plateaux. Un moment, j'ai eu la naïveté de penser que les choses évoluaient - le même genre de naïveté que celle de Paty. Mais je suis devenu fataliste. Les institutions sont peut-être faites pour cela : ne penser qu'à leur propre survie.

lundi 16 décembre 2024

Jardins

En écrivant son "Jardin des supplices" (1899), Mirbeau a forcément pensé au "Jardin des délices" de Bosch. Cette histoire de virée cauchemardesque dans une prison-jardin réservant aux prisonniers des raffinements de tortures, c'est Sade mêlé de révolte sociale et de beau style. Il faudra attendre la fin du 20eme et le torture porn d'Eli Roth pour retrouver cette perversion revendiquée, ce jusque-boutisme dans l'esthétisation du pire.

mercredi 11 décembre 2024

Triste Russie



Il y a les livres désespérés qui finissent par faire rire parce qu'ils sont énergiques (Schopenhauer, Houellebecq, Mirbeau). Et puis, il y a les livres vraiment tristes, les livres sordides. Curieusement, c'est souvent du côté de la Russie qu'ils me parviennent. Je me suis senti triste après "La supplication" (1983) du prix Nobel Svletana Alexievitch. Je suis sorti accablé du "Soleil des morts" (1923) d'Ivan Chmeliov, qui relate avec une curieuse douceur, un fatalisme déchirant, le fameux Holodomor en Crimée. La postface souligne combien les réfugiés n'ont pas reçu bon accueil en France, ce qui fait un curieux contraste avec la situation actuelle. A ne pas lire l'hiver..

mercredi 4 décembre 2024

Sexe et béquilles

Pour le dossier "Notre vie sexuelle" de Zone critique, j'ai fait le récit de mon enquête pour "La Viveuse" (réservé aux abonnés).

lundi 2 décembre 2024

Le dîner du cochon

mercredi 27 novembre 2024

Le potache est servi



"Le potache est chervi !" C'est par cette phrase destinée à devenir rituelle que j'ai ouvert le Dîner de l'escargot, première soirée de travail du Cercle d'études potaches. Nous étions cernés par les touristes russes et taïwanais. La cargolade arrosée de champagne a vite éparpillé la conversation façon puzzle. Heureusement, Ariane a manié la cloche au bon moment pour nous ramener sur la voie exigeante que nous nous étions fixée.

mercredi 20 novembre 2024

Hommage à Paris



Fabrice Pataut nous parle du roman "Spleen au Lavomatic" de Valère-Maris Marchand (Héliopodes, 2024) :

Malgré le spleen, nous sommes plus chez Balzac que chez Baudelaire dans ce roman très maîtrisé de Valère-Marie Marchand. Son premier, nous avertit la quatrième de couverture. C’est là une bien curieuse nouvelle. On a plutôt l’impression que l’auteur nous offre les prémices d’un ensemble beaucoup plus vaste encore immergé ou en gestation, le premier volet d’une comédie humaine du vingt-et-unième siècle dont le lavomatic est l’épicentre comme autrefois et pour d’autres siècles les salons des cocottes et les cafés des grands boulevards. On aurait tort de croire lire un roman habile et léger, la chronique mordante et sans complaisance d’un siècle pas même trentenaire qui tomberait dans le piège facile de l’anti-modernité.

Émilien (quel joli choix de prénom, suranné et presque descriptif) a égaré son manuscrit, un manuscrit au sens propre du terme, lequel contient des croquis, autrement dit un œuvre originale, authentiquement de la main du jeune homme, écrivain et dessinateur, auteur par ailleurs d’une œuvre poétique minuscule et improbable. Aucune nostalgie convenue dans ce portrait du vieux quartier Saint-Antoine fait de sandwicheries et de concepts-stores. Émilien Dorval, mou et indécis, petites lunettes et vêtements informes est là avec nous, je veux dire avec le siècle que nous partageons, mais comme on est assis de guingois sur le bras d’un fauteuil dans le salon où l’on reçoit pêle-mêle princesses et chiffoniers. Sans être vraiment présent, sinon pour mieux nous observer, prêt à nous quitter à la première saute d’humeur pour retrouver éternellement le même monde — bien sûr, quoi d’autre ? — quoique différemment éclairé. Par quoi ? Par la petite lumière du manuscrit perdu qui vascille, manque de s’éteindre mais ne fait jamais défaut. Tantôt lampe frontale, tantôt illumination soudaine de l’esprit, le manuscrit, souvent, se joue d’Émilien avec des airs de jeune effrontée.

Le manuscrit perdu, comme un doudou d’enfant ou le cadeau précieux d’un amour défunt, promet consolation et douleur. S’il était encore près de nous, sur la table de travail ou sous l’oreiller, il aurait tous les avantages tactiles et olfactifs de la chose qu’on regarde, touche et respire avec bonheur. Loin de nous, qui sait dans les mains d’un étranger qui ne pourra que lui vouloir du mal, il nous trahit, nous rappelle à quel point nous sommes différents et moindres sans ces objets qui nous sont consubstantiels. Mieux vaut encore le caniveau. À propos de caniveaux (métaphoriquement parlant), Valère Marie-Marchand donne ci et là quelques petits coups de pattes bien sentis, griffes rentrées et sourire aux lèvres. Les imbéciles et les ferrailleurs, les indécis, les infatués comme les modestes passent un à un sous la loupe d’un Émilien à la fois furieux et contrit. Il les observe, les malheureux, à vrai dire plus malheureux que lui encore, et le fait d’en haut sans complaisance, à la manière d’un homme triste allant le long d’un trottoir côté chaussée des fois que son manuscrit pourrait passer par là avec mégots, capsules et mouchoirs malmenés par le courant.

Mais revenons au Lavomatic où le jeune Dorval mène l’enquête in situ. Il y a là, bien sûr, un leurre, pour ne pas dire un oxymore. Plus qu’un lieu fixe où le détective s’attend à un retour du criminel sur le lieu du crime, c’est une boîte dans la boîte dans la boîte qui s’ouvre à l’infini, proposant chemin faisant des pistes possibles, des croisements, des bifurcations. Narcisse apparaît derrière le hublot de la machine à laver le linge n° 6, laquelle est au lavomatic, lequel est à Paris 11ème, lequel Paris est celui de l’Aurélien d’Aragon qui souffle à Émilien le merveilleux incipit La première fois qu’Aurélien vit Bérénice, il la trouva franchement laide, lequel incipit s’applique plutôt mal à Fleur de bitume, parigote qui entre inopinément dans ledit Lavomatic où ladite machine n° 6 fait des siennes. Narcisse, aperçu derrière le hublot de la 6, n’est rien de moins que le fils d’un dieu et d’une nymphe. Fleur de bitume, qu’on le veuille ou non, franchement laide ou pas, a du charme, un charme d’un genre qui rappelle celui du Garance de l’immense Arletty.

En quoi ce premier roman nous donne à la fois beaucoup de liberté et exige de nous une lecture attentive. Chacun choisira un ou plusieurs auteurs préférés parmi ceux ici convoqués par Valère-Marie Marchand, pour suivre une piste plutôt qu’une autre mais sans jamais quitter le jeune Dorval, lequel devient, au fur et à mesure que nous avançons, un compagnon de voyage. Là où un auteur moindre serait tombé dans le piège de l’érudition fastidieuse, Marchand se joue des codes, sobrement, avec légéreté, goût et drôlerie.

Il est beaucoup question de synesthésie dans ce livre où l’on peut aussi bien déguster les couleurs que renifler l’odeur des reflets en compagnie d’Émilien, victime consentante des troubles systématiques de la perception. La synesthésie la plus remarquable de notre lavomaticien émérite reste néanmoins d’un genre déviant. Car il y a bien comme un trouble de la perception dans la manière dont Émilien finit par retrouver son cher manuscrit. Je ne dévoilerai pas la clef de l’énigme, à la fois drôle, bête comme chou et troublante, qui implique un quidam volontairement sous séquestre et un miroir sans tain digne des meilleures maisons de passe. C’est par une sorte d’aperception déviante, de perception qui s’aperçoit elle-même en train de prendre un chemin de traverse qu’Émilien se retrouve, plus diffracté que jamais avec au centre un noyau dur, l’essence même du synesthésien émérite, le Dorval en soi d’un Paris poétique, coquin et jeteur de sorts.

Il faut lire Spleen au lavomatic de Valère-Marie Marchand comme on le lirait si Émilien Dorval l’avait commencé puis bêtement perdu dans le quartier Saint-Antoine, comme l’épopée urbaine des petits riens patiemment recouvrés par l’auteur auxquels la littérature rend si généreusement leur dignité perdue."

mercredi 13 novembre 2024

Géographie heureuse



Sandrine Collette, apparue dans la dernière liste des goncourables, s'inspire beaucoup du Morvan pour écrire des romans âpres, durs, tout entiers forgés par l'instinct. C'est curieux, à mes yeux le Morvan est devenu au contraire un paradis, vaste jardin merveilleusement dessiné, patchwork équilibré de prairies, de champs, de forêts, de bocages, de ruisseaux. Les villages y sont paisibles - un peu mourants - et les vaches plus nombreuses que les passants. Quelques châteaux s'y perdent dans la brume. L'eau sous toutes ses formes y est très présente. J'aime y chercher là-bas des leçons de géographie heureuse.