Le Guépard Extrait 1
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On connaît le film de Visconti, Le Guépard, on connaît moins le livre dont il est inspiré, véritable petit bijou publié juste après la mort de son auteur, Guiseppe Tomasi di Lampedusa, un aristocrate sicilien qui s’est inspiré d’une lointaine figure familiale pour dresser le portrait de ce noble flamboyant (Burt Lancaster à l’écran), sentant venir au milieu du 19ème siècle le vent de la Révolution et facilitant l’alliance de son neveu (Alain Delon) avec une fille incarnant les forces vives du peuple.

Tout est parfait dans ce petit livre : du souffle romanesque à la qualité de l’écriture (classique mais rutilante), de la précision des portraits à la finesse de l’analyse politique. Pour la première fois, je lis un livre dont il semble que le film se soit inspiré à la ligne près (les dialogues eux-mêmes semblent identiques), à l’exception de quelques scènes finales sur lesquelles le film fait l’impasse (notamment celle de la mort du Guépard). Et le film est aussi brillant que le livre, sans paraître ridiculement maigre par rapport à lui (c’est souvent l’impression que donne un livre par rapport au film : celui de fourmiller de milliers de détails que le film ne peut se permettre de mettre à l’écran). Le livre enrichit le film sans le faire oublier, plus jouissif encore par les précisions qu’il apporte et par sa beauté propre.

Les descriptions de villes, de villages et de campagnes sont parfaites : ni trop longues, ni trop maniérées, elles restent fortement expressives et j’ai eu la sensation, en les lisant, de trouver les mots pour décrire ce que j’avais vu moi-même pendant mon récent voyage en Sicile. La description de Palerme, notamment, est saisissante : plus d’un siècle et demi après l’action du roman, on croirait vraiment que rien n’a changé sous le ciel sicilien – faisant un curieux écho à la célèbre phrase du roman, égrenée à plusieurs reprises dans le texte : « Pour que rien ne change, il faut que tout change… »

Le portrait du Guépard (page 12, dans l’édition Points) :

« Les rayons du soleil couchant de cet après-midi de Mai illuminaient le teint rosé, les poils couleur de miel du Prince ; ils dénonçaient l’origine allemande de sa mère, cette princesse Caroline dont l’orgueil hautain avait glacé, trente ans auparavant, la cour négligée des Deux-Siciles. Mais dans son sang d’autres essences germaniques fermentaient, bien plus fâcheuses pour cet aristocrate sicilien en cette année 1860, que l’attrait de la peau très blanche et des cheveux blonds au milieu de gens olivâtres et aux cheveux de jais : un tempérament autoritaire, une certaine rigidité morale, une propension aux idées abstraites qui dans la mollesse de l’habitat de la société palermitaine s’étaient transformés en arrogance capricieuse, en scrupules moraux perpétuels et en mépris pour ses parents et ses amis qui lui semblaient aller à la dérive dans les lenteurs pragmatiques du fleuve sicilien. »