Camille de Toledo @ artnet FRANCE par ARTNET_france

Je relis le beau livre de Camille de Toledo, Archimondain Jolipunk, et je trouve qu'il n'a pas pris une ride. Dans cet essai au titre trompeur (la réflexion se veut beaucoup plus sérieuse que ce qu'il laisse entendre), l'auteur dit sa mélancolie, sa colère à vivre dans un monde qui s'uniformise et où tout a déjà été pensé, y compris la dissidence, un système qui intègre la contestation pour mieux se renouveler lui-même. Comment ne pas se sentir désespéré lorsque tout mouvement de révolte se trouve récupéré, de manière quasi-instantanée, par le divertissement ? Inévitablement, on pense à La société du spectacle, mais Toledo réserve quelques piques à Debord auquel il reproche d'avoir finalement donné des armes à ceux qu'il prétendait combattre.

C'est une prose lumineuse, sans effet de lyrisme ou d'artificielle obscurité, comme dans le passage suivant, qui résume assez bien le propos général du texte :

"Au cours des années 90, deux récupérations ont achevé ce festin de charognards. Grâce à elles, le capitalisme s'est approprié pleinement l'esprit de la révolte. Il l'a installé en son coeur. En calquant la rhétorique de la "nouvelle économie" sur l'utopie communiste d'une société sans classes et en revendiquant le métissage comem norme esthétique, il a imposé ce que nous avons appelé, avec quelques amis, "l'Economie de la révolution permanente". Peut-être aurions-nous pu inventer un terme plus marketing : "Rebellionomics", l'économie à l'âge rebelle. Ou bien écrire un traité sur "Les Profits de la dissidence". Comme il était déjà tard et qu'aucun de nous n'avait l'étoffe d'un consultant, nous en sommes restés là, à ces trois mots qui expliquaient notre désarroi. "L'économie de la révolution permanente", un système d'accumulation du capital fondé sur la révolte et la contestation. De ces quelques intuitions, il était possible d'extraire un principe plus déroutant encore : le capitalisme est désormais, et pour les siècles des siècles, le seul régime authentiquement révolutionnaire. Tous ceux qui s'y opposent sont des réactionnaires." (page 71)

La dernière partie, consacrée aux moyens de résister à cette impasse, je la trouve moins convaincante... Il y a de belles idées, comme celle des TAZ (Zones Autonomes Temporaires) ou celle d'un anonymat revendiqué pour retrouver l'épaisseur des corps (Toledo prend l'exemple des zapatistes qui prenaient un malin plaisir à se masquer), mais elles n'ont pas la puissance du mouvement premier de révolte. Le romantisme de Toledo sonne plus juste dans la mélancolie que dans le passage à l'acte, me semble-t-il (la vidéo ci-dessus témoigne d'ailleurs d'une inquiétude, presque d'une blessure, porteuses d'une poésie plus forte que la recherche de solutions concrètes au sentiment d'enfermement).